Le batteur et compositeur Michel Altmayer fut acteur de la scène progressive et Zeuhl dès les années 1970, avec les formations successives MANDRAGORE et TROLL, auxquelles participe notamment Jean-Pascal Boffo. Pourtant, il fallut attendre 1984 pour pouvoir écouter la musique de TROLL, avec "Igor’s Dance" et "Break-Up Dance" publiés en 1984 sur l’album collectif Préludes (malheureusement introuvable) qui était un supplément gratuit au livre Discographie alphabétique du Rock français de 1969 à 1984 de Francis Grosse et Bernard Gueffier. On se rabattra donc sur la nouvelle version de "Break Up Dance" enregistrée en 1987 avec la nouvelle mouture de TROLL (nous y reviendrons) et figurant sur l’album collectif Ennéade conçu par le label Muséa et qui dresse un panorama assez complet de la musique Zeuhl sous l’influence de MAGMA.

Michel Altmayer mit finalement en boîte son premier album officiel (qui porte le numéro 2, le volume 1 de 1981 étant une démo sur cassette à faible tirage), non sans réunir autour de lui un casting de choc: Stella Vander, première choriste de Magma depuis 1973, Klaus Blasquiz, chanteur lead jusqu’en 1980, Francis Moze qui en fut le premier bassiste (sur les deux premiers albums), Bernard Paganotti, autre bassiste emblématique du groupe (1974-76), Alain et Yvon Guillard, souffleurs attitrés à partir de 1977, sans compter une dizaine de musiciens additionnels. Cependant, aucun ne joue sur l’intégralité de l’album à l’exception de Michel Altmayer lui-même.

Troll Vol. 2 nous intéresse pour deux choses. D’une part, il donne une vision assez étonnante de ce à quoi pourrait ressembler la musique de MAGMA avec une production funk des années 1980 (bien plus typée encore que sur leur album Merci): son d’ensemble tout en rondeur (merci les basses), boîtes à rythmes ou batterie réverbérée (avec option pads électroniques), synthétiseurs (pour certains digitaux – on reconnaît quelques sonorités de la gamme Yamaha), voire des samples (quelques coups d’orchestre sur les deux premiers morceaux). D’autre part, les deux premiers morceaux, "Igor - Dance & Rejoicings" et "Break Down" (une version alternative de "Break Up Dance") sont très réussis dans le versant le plus accessible du style Zeuhl, à l’instar des albums d’EIDER STELLAIRE ou ESKATON.

Malheureusement, si "Break Up Dance" laissait entrevoir une musique d’une belle pugnacité, avec le concours de Bernard PAGANOTTI et de l’altiste Nathalie Basset (qui a également participé au mixage et à la production) dont le jeu rappelle beaucoup Didier LOCKWOOD (cf. l’album Surya de 1979), il n’en est pas de même pour l’album entier. En effet, passé le deuxième morceau, on écoute la formation s’égarer dans une redite du style Zeuhl, et en particulier de la Phase II de MAGMA (1977-1984), parfois dénommée 'Tamla-Zeuhl', comme dans la biographie du groupe par Philippe Gonin (2014). Passe encore le petit crochet vers WEIDORJE avec "Ud Ior Less Ordek!!!", qui cite maladroitement "Heldon" de Patrick GAUTHIER sur Bébé Godzilla (1981) qui était bien plus réussi en tant qu’album all-stars de la sphère MAGMA / WEIDORJE.

La suite est une catastrophe de caricatures et de repompes tous azimuts et à toute berzingue. Ça commence avec "Impressions For Tomorrow" qui n’apporte rien qui n’ait été fait en mieux par MAGMA avec "I Must Return", "Otis" (1984) ou encore "Dondaï" (1978) pour la ligne de piano. "Some Words About Trane" et "Like A Rainbow" (inédit publié en bonus de la réédition de 2020) sont du même tonneau, un alignement de clichetons aux paroles creuses. Mais c’est bien la doublette "Ankh (Carrousel Céleste)" - "When Come The Night" qui porte l’estocade. Le premier est un pillage pur et simple de la longue section rythmée de "Zëss", composition jouée en concert par MAGMA à partir de 1979. Tout y est ou presque : les accords, les lignes mélodiques, les soli, le motif de batterie, les cuivres, et même la déclamation (cf. l’interjection Vole!). Le second repompe en mode majeur "Ëhn Deïss" (qui était une version dépouillée et en mode mineur du dernier thème de "Zëss" – sans compter le final de la version de 2019). Une pompe d’autant plus sournoise que ni "Zëss" ni "Ëhn Deïss" n’avaient encore été officiellement publiés – ils le seront respectivement en 1992 avec Les Voix De Magma et en 1990 avec Offering III-IV. "Like A Rainbow" semble quant à lui être un mauvais décalqué d’OFFERING. Attrayant pour qui ne connaît pas les originaux, sinistrement ridicule sinon.

Cet album est le deuxième d’une trilogie baptisée …Jusqu’à ce que le Cygne devienne noir et le Corbeau blanc…, dont le premier volume est, comme dit plus haut, une démo de 1981, et dont le troisième volume est encore un mystère complet. Toujours est-il que la démo circule désormais librement sur le Net. Elle consiste en cinq morceaux, quatre composés par Michel Altmayer ("Au-Delà Des Miroirs", "Luul Ludu", "Herbes Folles", "All Is Love On You") et une de Jean-Pascal BOFFO ("La Ronde Des Elfes", qui sera reprise sur Rituel son troisième album solo), totalisant vingt-six minutes. Sur les quatre premiers morceaux, on devine déjà l’intense influence du MAGMA Phase II. Après une intro chorale lorgnant sur le début de "Ëmëhnthëtt-Ré", "Luul Ludu" cite "Titilbon" (1977) et "Theusz Hamtaahk". "Herbes Folles" copie le deuxième mouvement de "Köhntarkösz Anteria" (composé par Christian VANDER en 1972-73 et seulement publié intégralement en 2004 sous le titre K.A.) tout en ressemblant curieusement à un prototype de ESKATON de par ce chant doublé. Le morceau de Jean-Pascal BOFFO est de loin le plus convaincant, employant l’influence de WEIDORJE de manière bien plus judicieuse. Les enregistrements de 1984 ont été réalisés par Altmayer et BOFFO seuls, après le split de la formation et avant l’échafaudage de la seconde*.

Alors voilà, il est peinant d’être aussi cassant avec un groupe de la galaxie Zeuhl, surtout quand on l’adule depuis des années, mais des couleuvres aussi énormes nous obligent à sortir le vitriol. TROLL s’effondre sous le poids de citations plus balourdes les unes que les autres. Le risque avec la Zeuhl, comme avec toute école stylistique inséminée par une poignée d’artistes, est de tomber dans la redondance. Cela prouve au moins que Michel Altmayer a assidûment suivi Christian VANDER en tournée dans les années 70 et 80. D’autres groupes tels que ALTAÏS, ou ESKATON dans une moindre mesure, ont commis cette erreur. Avec Troll Vol. 2, Michel Altmayer vulgarise la musique de MAGMA en pure perte, ce que Jean-Pascal BOFFO (qui manque terriblement ici) a su éviter sur ses propres compositions. Les habitués en riront jaune, les néophytes en tireront une image complètement édulcorée et biaisée de la Zeuhl. À éviter dans les deux cas, donc.

1 ½ sur 5

*https://inv.nadeko.net/watch?v=yxIr54O2prI