Avec ce premier 'vrai' album, EMEZI ('dit-elle' en breton) passe à la vitesse supérieure. La timidité des débuts voix-piano n'est plus de mise, et l'EP Tentadur sorti voilà trois ans promettait déjà de belles choses plus modernes, mais avoir un objet comme 30° (30 Derez, 30 Degrés) entre les mains n'est pas un fait à minimiser.

La chaleur nous gagne, nous inquiète un peu aussi car le réchauffement climatique reste dans les préoccupations générales, y compris pour Perynn Bleunven et Elise Desbordes. Toutefois, globalement, nos demoiselles veulent être positives, les trente degrés annoncés sont ceux qui font du bien, avec l'effet torride que peut avoir l'été. Autant dire que la sortie de l'album (distribué par Aztec Musique), prévue initialement fin mai 2025 mais repoussée à fin juin, arrive à point nommé.

Avec les photos sexy de Charlaine Croguennec en contrejour, EMEZI nous promet un disque sans fard, rempli de bonne sueur autant que de finesse, puisque dans l'ombre, tout n'est pas dévoilé en grand comme sur les pochettes des autres chanteuses pop actuelles. Déjà, sur Tentadur, elles voulaient rapprocher leur oeuvre de SHAKIRA ou d'Ariana GRANDE ; sur 30°, toujours grâce à Romain Jovion, plus occasionnellement Swann Droual, le style bien dans l'objectif se dévoile mieux que jamais. Et tout en brezhoneg/breton, s'il vous plait.

Chacune des deux compose les titres où elle chante en lead, Elise Desbordes joue simplement de tous les claviers en plus. Par rapport à la voix chaude et plus grave de Perynn Bleunven, on peut affirmer une préférence légère pour celle d'Elise, plus aiguë, plus enfantine, plus 'celtique' peut-être aussi. En tout cas, les deux se marient et offrent une belle profondeur dans cet amusement général et estivant, de quoi faire swinguer le breton, par le biais d'harmonies soignées, de mélodies évidentes sur rythmes groovy, chaloupés, dansants. Et cette vision 'afro-pop', r'n'b ou zoukée du pays de l'hermine, dédiée naturellement à un jeune public ou un plus ancien curieux, fait grandement du bien.

"Asambles"/"Ensemble" débute avec des nappes-trompettes façon CLANNAD de l'époque Legend au milieu des années 80, mais ne nous y trompons pas. Ce serait d'ailleurs bien l'unique touche celtique/médiévale ici, avant qu'on se laisse emporter dans un tourbillon de basse, percussions, optimisme amoureux... Un des rares titres à user de samples vocaux 'funs' en sus des voix du duo féminin. Alors que Perynn domine sur ce titre, "Paouez da Gomz" ("Arrête de Parler") montre une Elise plus entreprenante pour un funk légèrement plus cuivré, riche en variations vocales.

Bien que revenant à une forme plus classique de r'n'b, Perynn Bleunven sur "An (le) Tempo" (seul titre à contenir une touche instrumentale autre, grâce à l'intervention subtile de Swann Droual au low whistle/flûte basse irlandaise) mélange rythmes binaire et ternaire comme c'est l'usage, au milieu des basses, des strates vocales. Et des mots 'caliente' façon chat échaudé-souris conquérante ou friend-zone mal délimitée en langue de Per-Jakez Hélias ou de Charles de Gaulle (l'oncle bretonnant du général-président) : "J'appelle ça baiser, toi tu dis que c'est des caresses, quand est-ce qu'on sera en sync sur le temps, baby baby baby ?"

Le tout fonctionne très bien, y compris pour "Kendalc'h Koazh" ("continue encore") dans le même style, cette fois par Elise Desbordes, d'autant plus suave que la caisse claire se fait roulante, ou encore "Bezañ Me" ("Être Moi") auquel s'ajoute assez finement le rap de Quentin Morvan. La voix de Perynn conduit élégamment la salsa de "Fin an Devezh (O+O)"/"La Fin de la Journée" et son sample 'trombonesque' remarquable, ainsi que "Mat Pe Fall" ("Bien ou Mal"), fiesta zouk où la chanteuse fait preuve d'un sacré dynamisme, phrasé rap compris. À l'opposé de cela, d'un point de vue stylistique, il y a la très jolie adaptation de "L'Hymne à l'Amour" d'Edith PIAF, en duo breton féminin a-cappella et conclusion d'album : "Kanenn ar Garantez".

EMEZI pratique ses enchantements et on en redemande. Surtout, une nouvelle fois, dès que résonne la voix d'Elise délicieuse. "'Pad an Noz" ("Dans la Nuit"), au-delà de son intro électro féérique et sa suite zoukée réussies, nous laisse rêveur quant à l'idée d'entendre pareil morceau avec des arrangements jazz plus traditionnels et seyants, comme c'était encore le cas sur l'EP avec "Gouest" et surtout "Penaos Paouez" (enregistré chez Didier SQUIBAN avec lui au piano et des cuivres).

Il y a encore mieux, à savoir "Luskell"/"Berceuse" où ressortent naturellement les claviers et sons cristallins sur programmations basse et autres, petit pas de danse latine et intense, entraînant dans une forme de grâce ; un des meilleurs titres de l'album et qui mériterait franchement d'être cité parmi les tubes 'smooth' internationaux de l'année, voire la décennie. Miss Desbordes fait presque tout aussi bien avec des mots tout aussi tristes/intimes que la musique joyeuse vient contraster, sur "Va Hezoug 'zo Yen" ("Mon Téléphone Est Froid"), sa pop irrésistible, vintage (l'orgue rythmique) et lumineuse.

Quel plaisir, ce timbre chanté si charmant, avec des paroles de caractère noyées dans le marasme amoureux ("Je ne suis pas un trophée à gagner, si tu n'es pas dedans tu es dehors baby"), et que pareille musique ne laisse point soupçonner. Et encore, elles sont deux à nous révéler leurs charmes, sans la retenue filtrée de la pochette quand il s'agit de musique. Un clair-obscur dont on se délecte en grand, mais aussi l'évidence d'un disque pop-soul qui mérite tout l'intérêt du grand public actuel, car à la fois proche de ce qu'il aime et porteur d'authenticité et de bonnes ambitions, incluant la défense du breton (et idem dans les interviews). On leur souhaite un beau succès, également un futur album mieux équilibré entre jazz et ce qu'on entend là.