On le sait depuis ses débuts sur les planches du West End : Cynthia ERIVO a une voix hors norme. Une voix née pour les projecteurs, sculptée pour Broadway, pour les grands rôles et les grandes émotions, et c’est exactement la trajectoire qu’elle a suivie, de la comédie musicale au cinéma. Dans Ch. 1 Vs. 1, son tout premier album studio sorti en 2021, la chanteuse et actrice britannique quitte les costumes de théâtre pour se dévoiler autrement : dans un cadre plus personnel et en s’essayant à l’exercice pas toujours évident de l’album pop-soul à cœur ouvert.

Dès les premiers instants de "What In The World", l’élégance s’installe comme une évidence. C’est un morceau lent et feutré, porté par une production moderne qui s’orchestre avec beaucoup de mesure. La voix de Cynthia glisse sur cette matière sonore pour chanter les doutes universels d’un monde qui vacille et on ne peut pas nier que sa sincérité désarme. On l’écoute, captivé par cette fragilité maîtrisée, mais déjà une question pointe le bout de son nez : ERIVO va-t-elle adhérer au club de ces vocalistes puissantes mais peut-être trop consensuelles, à la manière d’une Jennifer HUDSON ou d’une Alicia KEYS ? Celles dont la voix reste le coeur du projet mais dont les albums peinent parfois à faire vibrer autre chose que de l’admiration technique.

La suite de l’album cherche clairement sa place : épuré et peu recherché sur "A Window", avec la guitare acoustique de "Hero" qui soutient de bout en bout cette ballade d’empowerment criant sa volonté de simplicité instrumentale, le single "The Good" révèle des inspirations pop-soul avec sa mélodie entraînante ou encore le titre "Alive", plus rythmé, qui mixe piano grave, synthés atmosphériques, cordes discrètes. Partout, le timbre de Cynthia est rempli de nuances et de richesse, héritées de sa formation classique et de ses influences gospel, mais dans l’ensemble, les chansons restent trop sages et manquent de cette étincelle qui marque les esprits.

Vers le milieu de l’album, "Day Off" arrive une respiration plus aérienne et un chant en apesanteur. ERIVO joue clairement la carte de l’atmosphérique avec ce beat R&B fait de textures flottantes mais l’effet vaporeux ne lui convient pas totalement. Son chant se désincarne presque alors qu’il est habituellement impressionnant de puissance. Puis viennent "Sweet Sarah" et "You’re Not Here", deux ballades - l’une à la guitare, l’autre au piano, avec quelques violons en arrière-plan. C’est joli et doux cependant je reste sur mon impression initiale : les chansons sont loin d’être à la hauteur de l’instrument d’ERIVO.

C’est lorsqu’on s’approche de la fin que Ch. 1 Vs. 1 trouve enfin un peu plus de caractère. Le morceau soul "Tears" marque un tout petit virage : sa production se distingue nettement du reste, avec des choix sonores plus audacieux, où les percussions feutrées donnent à Cynthia un terrain plus mouvant, où elle peut enfin sortir un peu des sentiers battus. Dans "Glowing Up", l’instru pop apporte une énergie nouvelle, communicative : le chant se fait plus franc, plus affirmé…. C’est au moins ça de pris ! Il y a aussi "I Might Be In Love With You", une ballade sur laquelle la chanteuse explore des variétés bienvenues, tendrement subtiles. Sans être révolutionnaire, la chanson possède une lumière qu’on trouve finalement à peu d’endroits dans cette première livraison. Enfin, un brin jazzy, "Mama" révèle une belle performance vocale digne des grandes divas de la soul, mais manque monstrueusement d’originalité.

Cynthia ERIVO sait peut-être faire les bons choix quand il s’agit des rôles qu’elle endosse au cinéma ou au théâtre. Là, son instinct est sûr et précis mais lorsqu’elle se penche sur sa carrière de chanteuse, l’équation est encore loin d’être résolue. Ch. 1 Vs. 1 nous montre une artiste qui se cherche et qui ne sait pas encore ce qui va la démarquer. Si elle prend les bonnes décisions, accepte de sortir de sa zone de confort et de se bousculer, l’aventure pourrait s’avérer aussi passionnante que sa carrière d’actrice. Sinon, mieux vaut peut-être qu’elle continue de mettre sa voix d’exception au service de récits façonnés par d’autres. Malgré mes réticences, une chose est certaine : elle possède une voix capable de porter à peu près n’importe quel projet, encore faut-il que le projet ait lui aussi quelque chose à dire.