Parmi les claviéristes passés par MAGMA, en dehors du pianiste François Cahen ayant officié aux débuts (1970-71), les deux plus marquants sont Benoît Widemann et Patrick Gauthier. S’ils ont apporté au groupe une étincelle électronique considérable (bien que Christian VANDER n’ait jamais été particulièrement passionné par les synthétiseurs). Le premier a enregistré avec Dan AR BRAZ, le second a activement participé à WEIDORJE et HELDON. On peut encore ajouter Jean-Philippe Goude, également affilié à HELDON. Si tous deux sont auteurs de plusieurs albums solo (et collaborent occasionnellement), ont un toucher souple et habile, se sont imposés comme des maîtres du Minimoog (on peut également faire le rapprochement avec Jean-Philippe Goude et François Bréant) et opèrent dans un style prog (tout du moins jusque dans les années 1980, Patrick Gauthier réintégrant la sphère VANDER avec des albums plus jazz), on observe de sensibles différences dans les détails, notamment dans l’élaboration des soli. On peut globalement dire que Benoît WIDEMANN a un style musical légèrement plus proche du jazz. Ce sera surtout vrai sur les deux derniers albums.

Pour l’heure, Stress! est de la musique prog instrumentale en majeure partie jouée sur synthétiseurs. Benoît WIDEMANN, du haut de ses vingt ans, a déjà acquis une impressionnante maîtrise technique, sur un matériel de compét’, en premier lieu le synthétiseur modulaire RSF modèle 11, RSF étant une ancienne firme française de conception et de fabrication de synthétiseurs, fondée par les frères Ruben et Stéphane Fernandez pour laquelle Benoît WIDEMANN a travaillé en tant que consultant – il a rédigé le cahier des charges du synthétiseur monophonique Kobol (1979), souvent considéré comme le Minimoog français. Ne serait-ce que les nappes de "Stress!" ou le motif électronique du "Camp Du Drap D’Or" présentent des textures fort riches.

Stress! se départage aisément entre les morceaux enregistrés avec formation instrumentale (certes à géométrie variable) et ceux (quasiment) en solo. Pour la première catégorie, nous ne sommes encore pas si loin de ce que Patrick GAUTHIER composera pour WEIDORJE (1978). Bien que deux morceaux soient composés par des musiciens extérieurs ("Balèze" par le batteur Clémant Bailly et "Le Camp Du Drap D’Or" par le bassiste Guy Delacroix), ils s’intègrent parfaitement à l’ensemble. "Le Camp Du Drap D’Or" est basé sur le décalage rythmique entre le thème binaire et un riff électronique en 5/4. Patrick GAUTHIER, justement, y donne la réplique à Benoît. Sur "Balèze", "Qua Ternaire" fait plus fort encore : une mélodie en 15/16 structurée de telle sorte à donner l’illusion du binaire, un procédé également employé par RADIOHEAD sur leur "15 Step" (2007). Benoît WIDEMANN y emploie également une astuce technique : jouer une ligne mélodique au piano et passer la bande à double vitesse pour inclure des triple croches à un tempo élevé. "Spirale" (avec aux chœurs la chanteuse folk Emmanuelle PARRENIN et Hugues de Courson de MALICORNE) est quant à lui basé sur un ostinato. Si les deux premiers sont dynamiques et enjoués, les deux derniers sont plus sombres.

Les autres morceaux sont plus minimalistes dans leur instrumentation mais non moins élaborés. "Herbes Sol" et "Stress!" (un annoncement de "Qua Ternaire" au piano électrique) déroulent des mélodies sinueuses sur des nomenclatures élaborées. Sur le dramatique "Fête Au Septième Plan - Sacrifice", qui fait parfaitement suite à "Spirale", Benoît WIDEMANN joue de l’opposition entre les nappes polyphoniques et le riff qui émule une basse électrique de façon particulièrement convaincante, fuzz inclus.

Stress! est plus cohérent qu’il en a l’air au premier abord. À la versatile première face, ponctuée par l’interlude amélodique "Demi-Final", succède une seconde face où les sons comme les énergies semblent s’étioler et se fondre dans l’ombre, jusqu’au piano solo de la seconde partie du "Final", comme une porte dérobée vers la musique impressionniste de DEBUSSY.

Cet album est le deuxième paru chez le label Ballon Noir, plutôt orienté chanson folk et prog. Les deux albums qui suivront pousseront encore plus loin l‘hybridation sonore.