Je sais, c’est un peu téméraire de ma part de marcher sur les plates-bandes de notre vénérable boss, Erwin le tout puissant, viking d’adoption et spécialiste de musique islandaise. Espérons qu’il ne m’en voudra pas si je m’attaque aujourd’hui à une artiste venue elle aussi du pays des fjords et des volcans : la chanteuse LAUFEY. De prime abord, pas d’influence viking chez LAUFEY, si ce n’est peut-être dans son nom complet Laufey Lín Jónsdóttir. Son univers sonore est surtout influencé par la passion du jazz que son père islandais lui a transmis en lui faisant écouter des artistes comme Billie HOLIDAY. Sa mère violoncelliste d’origine chinoise l’initie dès l’âge de 4 ans à une formation en musique classique : piano, violoncelle, guitare. Ce double héritage musical imprègne chaque note de cet album, où la finesse du jazz rencontre l'élégance de la musique classique. À 23 ans, LAUFEY signe ici un premier opus saisissant.

Vous vous en doutez au titre de son premier album studio, Everything I Know About Love, LAUFEY va nous parler d’amour, un peu, beaucoup. Un air de bossa nova ouvre l’album sur le magnifique single "Fragile" où LAUFEY est à la fois au piano, au violoncelle et au chant. La production est sobre, portée par la voix cristalline de la chanteuse qui nous raconte l’intime avec une classe rare (Grew up in a case of fragile glass/But hammer away it’s time to crash/And as it shatters let me shatter into you). Sa voix, d'une justesse impeccable, navigue avec aisance entre les registres, tantôt murmurée dans l'intimité, tantôt déployée avec une amplitude éclatante.

Qui dit amour dit bien évidemment ballades et LAUFEY nous en livre quelques-unes avec une douceur qui lui est propre : "Beautiful Stranger" qui débute avec des touches de guitares légères et un piano enchanteur ou "Night Light" dont la progression lente et maîtrisée nous plonge dans un film romantique où la voix de la chanteuse se déploie majestueusement. Sur le single "Dear Soulmate", LAUFEY installe une atmosphère ultra-intimiste à base de cordes dans une délicatesse folle. C’est doux, c’est éthéré, à l’opposé des chialantes qui me crispent tant.

"Just Like Chet" fait référence au jazzman Chet BAKER, alors les accords de guitare finissent par laisser place aux cuivres élégants, histoire d’honorer le trompettiste comme il se doit. Elle reprend "I’ve Never Been In Love Before" du compositeur américain Frank LOESSER sur des arrangements qui rendent hommage au jazz des années 50. L’ambiance est nostalgique, modérée et le piano s’accompagne de petites touches de batterie discrète mais qui accentuent la sensation de se trouver dans un cocon feutré.

L’ambiance reste aux arrangements jazzy sur "What Love Will Do To You" alors qu’on retrouve la légèreté de la bossa nova dans le single "Falling Behind". Quel que soit le style, il y a une vraie sensibilité artistique qui ressort des compositions de LAUFEY, comme sur "Hi", un morceau où j’adore sa façon de gratter sa guitare comme une caresse, un clin d’oeil à la simplicité des premiers amours qu’elle nous raconte ici en chuchotant. Sa voix enjouée devient plus forte, un joli contraste que l’on observe sur l’ambiance dansante et pétillante de "Dance With You Tonight", teinté d’accents swing et construit sur un texte contagieux, agissant comme une bouffée d’air frais bienvenue lorsqu’on dissèque en long et en large les émotions de l’amour.

Une certaine densité sonore s’échappe avec les cordes qui se superposent lentement dès les premières secondes du titre "Above The Chinese Restaurant" et LAUFEY réussit tellement bien à créer des images claires grâce à sa voix qu’on croirait voir une scène de film se dérouler devant nos yeux. Cette chanson fonctionne comme un petit bijou narratif, où le piano et la guitare électrique s’adjoignent pour créer une profondeur pleine de chaleur.

Les singles "Everything I Know About Love" et "Valentine" constituent indéniablement les points culminants de cet opus. Le titre éponyme offre une orchestration plus surprenante, des arrangements de cordes somptueux et une performance vocale qui remplit l’espace d’une manière très impressionnante. "Valentine" séduit par sa mélodie immédiatement accrocheuse et son arrangement sophistiqué où le piano jazzy dialogue avec les guitares délicieusement rétro. La chanteuse explore les registres graves de sa voix avec assurance mais sans jamais perdre la désinvolture qui caractérise son style. Avec ce titre, elle prouve aussi qu’elle sait écrire des chansons à l’ancienne, dans la tradition du jazz vocal classique, tout en leur insufflant une touche résolument contemporaine : cette fraîcheur émotionnelle qui parle à son époque.

Impossible de ne pas souscrire aux influences dans lesquelles LAUFEY a bercé tant elle les apprivoise sans aucune difficulté sur des compositions recherchées, mais jamais plombantes. Il y a une légèreté et un romantisme qui se traduisent presque comme un art de vivre au travers de sa musique, un tour de force assez génial, si vous voulez mon avis. L’écriture de la chanteuse est simple, précise et dépouillée de tout ce qui n’est pas essentiel et elle se dévoile peu à peu sur chaque morceau de Everything I Know About Love. Elle est peut-être passée par la case The Voice Iceland mais LAUFEY n’a clairement pas besoin des télé-crochets pour nous impressionner. L’Islandaise a tout pour se positionner comme une voix essentielle de la nouvelle scène jazz-pop : une technique remarquable, un timbre chaleureux et surtout la faculté précieuse de toucher sans en faire trop.