Il est des œuvres qui enseignent, d’autres qui bouleversent. Les Etudes de CHOPIN font les deux à la fois. On les imagine destinées aux doigts plus qu’au cœur, mais elles s’imposent rapidement comme de vraies pièces du répertoire romantique. CHOPIN transforme l’exercice en art, un théâtre virtuose réparti en deux livres, l’opus 10 et l’opus 25.

L’opus 10 est, naturellement, le premier à voir le jour. Dédié à Franz LISZT, il se distingue par une énergie éclatante et chaque pièce représente un défi technique bien précis pour le pianiste. L’Etude n°1, aussi surnommée "La Cascade", exige de la main droite une grande souplesse et une fluidité parfaite. Elle s’élance sur l’ensemble du clavier à travers une succession d’arpèges ascendants et descendants, tandis que la main gauche ponctue l’ensemble de graves puissants. Jouée ‘forte’, elle devient une véritable chute d’eau sonore et virtuose, une ouverture saisissante qui impose le respect.

Avec l’Etude n°2, c’est l’agilité des doigts qui est sollicitée : un tourbillon de doubles croches chromatiques vives et nerveuses. Puis, le tumulte s’apaise, cédant la place à une douce mélancolie dans l’Etude n°3 appelé "Tristesse". Ici, le temps semble suspendu : la main droite chante une ligne mélodique pure, tandis que la gauche l’accompagne avec une grande simplicité. Moins démonstrative, mais profondément émotive, cette pièce est une perle mélodique, comme un nocturne ainsi que l’Etude n°6. Jouée avec douceur et délicatesse, elle converse son mystère. Un nocturne lent et poétique discret tout en nuance et en subtilité où CHOPIN installe une forme d’attente, un chant intérieur.
Véritable petite danse espiègle sur les touches noires du claviers, l’Etude n°5, quant à elle, exige une grande précision rythmique. L’Etude N°7 adopte un caractère de toccata, tandis que les Etudes 8 et 10, plus légères et vives, semblent jaillir comme des élans de jeunesse. Plus tourmentée, l’Etude n°9 se distingue par sa tension dramatique et son intensité qui contraste avec l’univers intime et rêveur, riche en harmonies de l’Etude n°11.
Enfin, la dernière pièce de cet opus, surnommée "Révolutionnaire", se concentre presque exclusivement sur la main gauche. CHOPIN l’aurait composée en réaction à la prise de Varsovie en 1831. Elle est tumultueuse, un cri de révolte et de désespoir, un bouleversement qu’il grave dans le piano.

Quelques années plus tard, entre 1836 et 1838, CHOPIN écrit un nouveau livre d’études, l’opus 25. Elles sont dédiées à la comtesse Marie d’Agoult, sa compagne. Ce recueil plus flou, plus intérieur et plus insaisissable s’inscrit, pour certaines compositions, dans un caractère quasi impressionniste.

L’Etude n°1 surnommée "La Harpe Eolienne" est portée par une écriture fluide et lumineuse, impalpable et aérienne : les arpèges rapides aux deux mains se déroulent dans un legato constant, tandis qu’un thème doux émerge par vague, tout en variations et modulations subtiles. La pièce se finit de manière inattendue sur un trille grave, un dernier souffle. Elle partage cette esthétique aérienne avec l’Etude n°9 en Sol Bémol Majeur, surnommée "Le Papillon", tout en délicatesse. La main gauche esquisse des accords piqués tandis que la main droite file avec légèreté. L’Etude n°2 s’inscrit également dans cette veine, bien qu’elle introduise une difficulté particulière. Chaque main, prise séparément, est simple d’exécution mais ensemble, la polyrythmie créée une texture fascinante. Douce, enchanteresse et rapide, elle exige une certaine précision.

L’Etude n°3 évoque le galop d’un cheval par ses figures rythmiques entraînantes et régulière tandis que l’Etude n°10 alterne entre deux états. Des octaves furieux en ouverture, on passe à une partie centrale lyrique, presque rêveuse, avant que la tempête ne reprenne. Ces contrastes, tout en tension dramatique, en font une composition intensément romantique. Dans l’Etude n°6, l’expressivité passe par un travail sur les tierces chromatiques. La main droite déroule les gammes chromatiques et harmoniques en legato tandis que la mélodie repose sur la main gauche. Le résultat est profondément poétique. L’Etude n°7 en Ut Dièse Mineur évoque un nocturne, un chant suspendu où le piano parle à voix basse. L’atmosphère y est obscure, un bal secret et lent tout en raffinement. La virtuosité est au service de la retenue et du silence. CHOPIN poursuit ses études dans une exploration sans cesse renouvelée du claver. La 5 en Mi Mineur joue sur la dissonance, l’équilibre et la fluidité, tandis que l’Etude n°8 travaille la vélocité avec une exigence redoutable.

D’autres Etudes semblent libérer des forces naturelles déchaînées. L’Etude n°4 est un torrent : staccatos tranchants, notes répétées, gammes fulgurantes, le tout tonne dramatiquement. Surnommée "Le Vent D’hiver", l’Etude n°11 débute par une introduction sombre, avant de plonger dans un mouvement rapide, tourbillonnant, d’une virtuosité vertigineuse. La dernière étude que l’on appelle aussi "L’océan" referme le cycle comme une vague : des arpèges incessants, une écriture chromatique fuyante, tout semble s’effondrer. C’est poétique, tragique et la fin n’apporte aucun apaisement.

Il y a, dans les Etudes de CHOPIN, quelque chose qui échappe à l’exercice. Il introduit de nouvelles techniques et transforme l’étude pianistique. Ainsi, chaque pièce, tout en explorant une difficulté spécifique, devient un monde autonome habité par un imaginaire sonore riche. Elles forment un cycle d’une grande cohérence où le piano brille, virtuose certes, mais s’exprime parle, chante, souffle ou s’énerve aussi.