En 1976, Paul McCARTNEY & The WINGS sont encore au faîte de leur popularité, mais tout change pour la scène anglaise en l'espace de quelques mois à peine car le punk débarque et rafle tout, y compris une presse tourne-casaque. L'ancien BEATLES pourrait se croire dinosaure au même titre que tous les autres de sa génération ; au contraire, il va traverser cette période plus ou moins sereinement et d'abord avec son groupe, ou du moins ce qu'il en reste.

Au moment où London Town est enregistré, Paul devient papa pour la quatrième fois (troisième naturelle) puisque Linda a donné naissance au petit James, leur premier garçon. C'est une période plutôt heureuse et notre cher maître tente de la transmettre en musique. Pour autant, London Town n'est pas le disque pur sucre dans la veine d'un titre comme "Silly Love Songs", c'est même celui qui renoue avec la créativité des WINGS et dont la qualité retrouve le niveau de Venus and Mars.

Pour autant, le groupe déjà sur la pente déclinante voit, nouveau chambardement, le départ du batteur Joe English et du guitariste Jimmy McCulloch. Ainsi, comme au moment de Band on the Run, les WINGS retrouve un nouveau souffle à l'état de trio : Paul, Linda et Denny Laine, véritable noyau. Cependant, comme McCulloch et English ont participé à l'enregistrement de plus de la moitié de l'ensemble, London Town a cette double casquette du dernier album avec eux.

Produit par Macca 'as usual', le son ici est différent, opposé clairement dans l'esprit à celui du précédent album des WINGS, enregistré sur la route des tournées. Rien qu'avec le titre et la pochette, Paul semble vouloir réaffirmer l'identité première (par la capitale plutôt que la ville d'enfance, Liverpool) et d'importance pour lui tant qu'il peut tenir face au punk et en même temps, rendre son groupe un peu moins américain qu'il ne l'a été jusque-là, en se rapprochant davantage de la mère patrie.

Sans surprise, l'enregistrement se fait, et pendant plus d'un an à Abbey Road, avec néanmoins un bout aux îles Vierges, Caraïbes, par l'entremise d'un yacht de luxe, le Fair Carol. Par son ambiance flottante et brumeuse, ce disque est lui-même une découverte plus-que-jolie, œuvre sans doute un peu noyée à l'époque, y compris par un certain single-tube qui précède sa sortie, "Mull of Kintyre" en 77. Avant d'y revenir, parlons de cette suite de quatorze chansons absolument formidable.

"London Town" annonce la couleur, sans Big Ben cette fois, mais avec un piano électrique évoquant le 'fog'/brouillard sur la Tamise et une fausse lancée pop à la Macca. La production de la batterie de Joe English est si fine, le son si chaleureux avec la basse, le texte à la fois si enraciné et imaginatif (Londres au quotidien et autant fantasmé), la mélodie - d'abord en chœur groupé - si touchante et l'intervention de Linda si onctueuse à la fin qu'on a réellement envie de croire à la réussite de cet album. On ne sera point déçu.

Macca et Denny Laine, qui ont co-écrit ce titre éponyme, font de même pour la folk et très fraîche "Children Children", autoharpe en prime, et la plus countryisante "Deliver the Children", avec cette merveilleuse guitare lead à toucher hispanique dont Laine joue lui-même, sachant qu'il interprète ces deux morceaux au chant. Un régal, tout comme "Don't Let It Bring You Down" qui a d'abord un peu des airs du "Nights in White Satin" des MOODY BLUES, comme si Laine, ce membre fondateur, n'était jamais parti. Et puis cette ambiance, ce chant habité de Paul, ces flageolets (flûtes à bec) !

Dernière co-écriture des deux ici et morceau déjanté de fin, un peu comme Band on the Run avait le sien, "Morse Moose and the Grey Goose" mélange éléments funk/disco et musique électronique avec des claviers fort bien taillés comme des boucles, basse groovy, batterie tribale au sommet et même une sorte de concertina (typique du folk britannique), sans oublier un Paul tour à tour très nerveux et adoptant une voix de grand seigneur écossais. Peut-être pas un chef-d'œuvre, mais un bon moment de franc plaisir qui confirme que le retour à la créativité s'étend jusqu'au bout.

Le reste, Macca l'écrit seul, Linda ne participant qu'aux chœurs et à l'instrumentation. Passé le titre éponyme, la suite des titres de la première face nous ravit de ses enchantements, notamment l'instrumental "Cuff Link" planant et rythmique à la fois, ainsi que "Cafe on the Left Bank", soft-pop/rock nimbée d'orgue-synthétiseur pourvue de percussions latines et d'un très beau solo de guitare de Jimmy McCulloch. Il y a également "I'm Carrying", enregistré en une prise sur le yacht aux îles Vierges, ce coquin de Macca profitant d'être seul, sans son épouse, pour réveiller le souvenir d'une ancienne petite amie.

On a l'impression, comme dans "Cook of the House" du précédent album, qu'il ressort la contrebasse le temps d'un "Name and Adress" rockabilly qui est peut-être le moins bon titre de cette fournée 1978 mais déjà d'un niveau agréable. Il varie les plaisirs avec le blues-rock furieux "I've Had Enough", a contrario la légère et cristalline "Girlfriend" où il adopte un falsetto plus féminin que jamais (Michael JACKSON la reprend un an plus tard sur son album Off the Wall !), puis "With a Little Luck" dont il étire la fin en développant l'aspect strates de claviers.

"Famous Groupies" ressemble à un grand cirque humain, se terminant avec des cris simiesques, mais nous régalant bien avant cela, rien que par son refrain en chœur, sa guitare slide et sa nappe mellotron-voix. Tout cela est vraiment à retenir, même s'il manque un tube pour débloquer le tout, mais ça on le dit de façon formel. London Town est un grand album, ses singles fonctionnent ("With a Little Luck" numéro 1 aux U.S.A., "Girlfriend" dans le top 40) et bien que d'un éclat moins retentissant que les albums précédents, il monte aux tops 5 des deux côtés de l'Atlantique.

La réédition CD de 1993 inclut deux titres bonus et pas des moindres. D'abord, "Girls' School", rock adolescent/beachboysien massif et tout en guitares intelligentes, face B de single-tube efficace et que les radios américaines préfèreront à la face A, "Mull of Kintyre". Celle-ci, bien que sortie plus tôt, réaffirme les petites marques gaéliques/celtiques subtiles qu'on pouvait entendre au cours de l'album [i)London Town, ne serait-ce que dans le chant de Paul. Une ballade folk aérienne acoustique et à trois temps, dotée d'un son clair et où un pipe-band, celui de Campbeltown, avec ses tambours et cornemuses, crée l'événement.

Paul s'est tout simplement inspiré du cadre de sa chère ferme écossaise, symbole de sa renaissance à l'aube des années 70, quand il était orphelin des BEATLES, où il a assemblé ses WINGS et qui est placée idéalement au sud-ouest de l'Ecosse, dans le district-lieutenance d'Argyll and Bute, sur un promontoire que Robert-Louis Stevenson avait déjà mentionné dans (i]Enlevé ! (1886), et duquel on aperçoit l'Irlande. Il s'agit d'une ballade forte, splendide, à la progression épique, apte à titiller le cœur uni des Britanniques au sens large, même si le rock approximatif des nouveaux gamins fait rage alors. "Mull of Kintyre", paru à point juste un peu avant la Noël 77, devient l'un des Christmas carols les plus réputés, le tube le plus apprécié des WINGS et l'un des plus grands de l'histoire du Royaume-Uni. Bravo Macca !