Ce qui est remarquable avec les Stones, groupe ultra-médiatisé s'il en est, c'est que tout un chacun se sent obligé d'y aller de son commentaire plus ou moins négatif. Entre ceux qui leur reprochent de ne rien avoir enregistré de valable depuis Exile... et les autres, qui s'esbaudissent régulièrement sur leur nouvel album, à chaque fois le meilleur depuis Tatoo You ( à moins qu'il ne s'agisse de Some Girls ?), il y a de la marge...
Toute critique est respectable, à condition qu'elle s'appuie sur des arguments valables ainsi que des faits irréfutables.
It's Only Rock'n'Roll (rien que le titre, "Ce n'est que du rock'n'roll...) n'a justement rien d'un disque de rigides " gardiens du temple ", concocté par des puristes rétrogrades, "inamovibles rockers attachés aux principes premiers ". Le Stones cuvée 74 n'est rien de tout cela comme le démontrent les clins d'oeil au reggae ( Luxury ), à la Tamla ( Ain't Too Proud To Beg ) ou au funk façon Isaac Hayes/ Curtis Mayfield ( Fingerprint File ) .
Insister sur les talents d'écriture de Keith Richards à propos du morceau-titre se révèle terriblement ironique. Car si des gens se font plaisir sur cette compo, ce ne sont certainement pas les Stones... " It's Only R'n'R (But I Like It) est cette maquette réalisée à Londres dans la cave de Ron Wood, où Jagger a fait venir le batteur Kenny Jones et l'organiste Ray Cooper, plus son complice David Bowie pour les choeurs : ainsi le morceau-titre de l'album ne comporte ni Keith Richards, ni Charlie Watts, ni Bill Wyman." Le passage entre guillemets est tiré de l'excellent ouvrage de François Bon, Rolling Stones une biographie, Fayard, pages 557, 558.
Pour le reste, les deux faces du 33 tours originel s'achèvent sur un fabuleux plat de résistance, deux longs morceaux inspirés et ambitieux de plus de six minutes qui auraient pu avoir de nombreux petits frères si Mick Taylor n'avait pas quitté le groupe.
Time Waits For No One et son émouvante évocation du temps qui passe constitue un véritable tour de force. Une batterie métronomique pour commencer, suggérant l'écoulement inéluctable des secondes, des paroles belles et prenantes, et surtout d'amples développements instrumentaux permettant au prodige ( Mick Taylor, pas Keith Richards ! ) de se lancer dans des solos brillants et inspirés, rappelant évidemment le style du grand Carlos Santana...
Et puis Fingerprint File, en bout de face B, composition absolument unique dans la carrière du groupe, stupéfiant OVNI musical capturant le meilleur de la soul des années 70, Fingerprint File et ses excitantes parties de guitare rythmique, riffs typiquement richardsiens pourtant joués par Mick Jagger, Fingerprint File et sa fabuleuse ligne de basse tenue par Mick Taylor - Wyman se contentant de tripoter un synthé et Richards assaisonnant le tout de pincées de guitare wa-wa - , Fingerprint File et la frappe parfaite, coups de cymbales compris, de Charlie Watts, Fingerprint File et ses paroles fiévreuses empreintes de paranoïa sur lesquelles plane l'ombre du Watergate et la face sombre de la récente histoire américaine!
It's Only Rock'n' Roll est le dernier album enregistré avec le brillant Mick Taylor... Un Taylor qui compensait comme il le pouvait l'absence créative d'un Richards perdu dans les paradis artificiels. Par la suite, les solos virtuoses seront remplacés par la bouillie indifférenciée que l'on sait.
Il ne s'agit certes que de rock'n'roll et le cru 1974, même s'il est souvent considéré comme un Stones mineur effectivement très en deçà des chefs-d'oeuvre passés, n'a heureusement pas grand chose à voir avec son fané prédécesseur. Et ne parlons pas de certains de ses "glorieux" successeurs...
Note : 3,5 sur 5.