Habituellement, je n'écoute que très peu de hip-hop... Pas par rejet puéril ni par coupable fainéantise, simplement par manque de véritable affinité avec ce style musical. C'est donc à mon insu que j'ai découvert le seul album de Deltron 3030, fruit de la réunion de Dan The Automator, Del Tha Funky Homosapian et du Canadien Kid Koala, fameux DJ. Il faut d'emblée reconnaître que l'affiche est alléchante, au vu de la réputation de chacun des protagonistes, Dan The Automator étant notamment à l'origine de Gorillaz qui voit le jour en 2001. L'ambition est également au rendez-vous : on a effectivement affaire ici à un concept album décrivant la société de l'an 3030, où seuls quelques rappeurs survivent pour gommer certaines erreurs du rap actuel...

Instinctivement, on se dit que l'idée de base n'est pas neuve, les uchronies étant un thème définitivement porteur, que ce soit dans la littérature (L'An 2440 de Louis-Sébastien Mercier (qui date tout de même de 1771) ou encore certains romans de George Orwell) ou dans la musique avec par exemple le Diamond Dogs de David Bowie (1974), marqué lui aussi profondément par l'anticipation et la science-fiction. Pourtant, le contenu de ce disque est tel que cette considération à l'emporte-pièces vole en éclat, d'autant plus que l'ensemble est teinté d'humour, comme on le voit avec le nom des personnages présents. Musicalement, l'ambiance est tantôt atmosphérique, tantôt incisive. Les textes sont quant à eux judicieux, jamais complètement délirants et gardant un pied sur terre. Au débotté, on retiendra quelques merveilles ; "Things You Can Do" s'ouvre sur un sample délicat qui contraste avec la puissance du beat, "Upgrade" et "Turbulence" sont deux titres crépusculaires proprement effrayants tandis que "Madness" est plus nonchalant, où Kid Koala distille des scratches parcimonieux et franchement réjouissants. On n'oublera pas de citer le très aérien "Time Keeps On Slipping" et surtout LE chef d'oeuvre de l'album, l'épique "3030". Construit tout en ombre et lumière, ce titre élabousse de toute sa magnificience cet opus ; écoutez donc cette lente et harmonieuse montée en puissance - mâtinée de guitares hawaiiennes et guidée par un flow totalement enivrant - aboutissant sur un refrain tout simplement grandiose et solennel ! En exagérant quelque peu, ce morceau justifie à lui seul l'achat de l'album.

Toutefois, il ne faut pas réduire la portée des autres pièces maîtresses de ce disque ambitieux et réussi. Les expérimentations sont abouties et la maîtrise jalonne l'ensemble des pistes. Un bémol à ce concert d'éloges : les interludes trop nombreux cassent quelque peu le rythme et certains sont dispensables. Bien sûr, la présence de ces "pauses" est monnaie courante. Stankonia d'Outkast ou Chronic 2001 de Dr. Dre (deux albums majeurs sortis au même moment) ne regorgent-ils pas d'interludes ? Une chose est pourtant sure, tout ceci ne doit pas vous faire rater l'écoute de ce disque riche et fourni, qui en surprendra plus d'un ! Comme je l'ai été...