Le troisième album d’Elina Duni, mais son premier sur le label ECM, est un des plus beaux de cette année 2012. Elina, très joli petit brin de femme, a souhaité avec cet album enregistré en France, Matanë Malit (au-delà de la montagne), rendre hommage à son pays d’origine, l’Albanie, pays dans lequel elle a passé une partie de son enfance (elle vit actuellement en Suisse). Les chansons qui sont interprétées ici, dans sa langue native, sont presque toutes des chansons traditionnelles. Elina a voulu retrouver dans certaines compositions, et leur interprétation, une partie de son enfance mais aussi surtout retranscrire la poésie qui émane de la langue albanaise et de ses traditions orales.

S’agissant de la relecture de ces chansons on peut, même sans connaître les compositions originales, dire que le parti pris correspond tout à fait à l’orientation du label de Manfred Eicher, le patron d’ECM. Les chansons ont été complètement « jazzifiées », avec parfois un petit côté world music, de grands espaces ouverts sont laissés au sein des textes afin de permettre aux instruments de s’exprimer, notamment le piano de Colin Vallon qui sonne particulièrement bien. Il s’agit là de chansons qui respirent profondément. On peut apprécier les superbes arrangements, et le relief quasiment en trois dimensions de la batterie, du piano et de la contrebasse, typique d’ECM. La voix d’Elina, le premier des instruments, possède la sérénité et la pureté du chant liturgique ainsi que la sincérité et la profondeur de la terre et des paysages qu’elle met en lumière.

Le quartet délivre ici une musique feutrée, élégante, parfois bucolique, qui fait office de paysages sur lesquels les rayons du soleil jouent avec les nuages (vous apprécierez le superbe livret et ses photos). Il y a dans l’interprétation non seulement une vraie poésie mais aussi une véritable puissance des images, un vrai sentiment de liberté est offert à l’auditeur. On sent une réelle déclaration d’amour à ce pays, une nostalgie évidente, jamais dépressive, mais aussi une tendresse éclatante.

Les thèmes des chansons évoquent l’amour (« Ka një mot »), le retour désespéré d’un héros (« Kjani trima »), la lutte contre le fascisme (« Mine Peza »), mais surtout les séparations et les souvenirs (« Kur të kujtosh », « Vajzë e valëve », « Unë ty moj », « Kristal »). On côtoie parfois des moments plus joyeux comme le mariage (« U rrit vasha »), moments joyeux un peu plus rares ce qui fait que ce Matanë Malit est un album plutôt mélancolique dans l’ensemble.

Matanë Malit se pose en cette fin d'année 2012 comme un des plus jolis albums du label ECM, une belle œuvre, classieuse, dont on sait déjà que le temps n’aura pas de prise sur elle. Ce quartet avec sa jolie chanteuse est à suivre de très près.

Fortement recommandé !