En 1972, Stephen Stills est au sommet de sa gloire avec le double succès planétaire de Crosby, Stills, Nash &Young et de son premier album solo.
Au même moment, Chris Hillman, ex-Byrd, quitte les Flying Burrito Brothers, le groupe de Gram Parsons, pilier et fondateur du country-rock.
La décision est prise par les deux musiciens de fonder un nouveau groupe et les musiciens recrutés sont tous des sacrées pointures. Calvin Samuel et Dallas Taylor bassiste et batteur de CSN&Y, Paul Harris qui a joué avec Freddy King, et l’excellent Al Perkins à la steel-guitare. Le groupe prend pour nom Manassas tiré d’un lieu de bataille célèbre de la guerre de Sécession).

L’enregistrement se déroule au Criteria Studios de Miami, sous le contrôle sourcilleux de Stills, qui confirme sa réputation de perfectionniste égocentrique et emmerdeur en imposant ses idées et ses méthodes.
Les quatre faces du double vinyle sont découpées en quatre parties distinctes chacune avec un titre, afin de balayer différents courants de la musique américaine contemporaine :
The Raven, The Wilderness, Consider et Rock & Roll is Here to Stay.
La première face dévoile la forte influence de la musique cubaine sur Stills, et puis nous sommes à Miami, où vivent de nombreux cubains. La musique lorgne du côté latino avec des morceaux rock et des rythmes des îles, ce qu'illustre parfaitement « Medley : Rock & Roll Crazies/Cuban Bluegrass ».
La seconde face est dominée par les effluves de country et de steel guitar, et là on atteint de sommets, le groupe est parfaitement à l’aise dans ce style, les guitares sont merveilleuses, pour moi c’est la face que je préfère, si le groupe avait continué dans cette direction, les Eagles and Co auraient pointé au chômage. Du très grand art.
"Consider" nous ramène sur des terrains plus balisés, le folk-rock de Buffalo Springfield et de Crosby and Nash. Superbes harmonies vocales emmenées par la voix forte et chaude de Stills.
La quatrième face aborde l’aspect rocker de Stills avec "Treasure" mais aussi un superbe « Blues Man » où Stills seul à la guitare acoustique évoque ses copains disparus.

On pourrait craindre que la diversité des styles abordés nuise à la cohésion de l’œuvre. Au contraire, et la version CD où tous les titres figurent à la suite sur un seul CD en fait la démonstration, c’est un projet parfaitement abouti, servi par des musiciens supers, qui démontre l’étendue du génie de Stills.
Le groupe, hélas, sera éphémère avec un seul autre album avant l’inéluctable séparation, mais supporter Stills en studio vous fait vieillir de dix ans en une semaine. Dommage, Manassas est un chef d’œuvre un panorama ludique des différents courants de la musique américaine, servi par des instrumentistes de grand talent, il suffit d’écouter les fabuleuses interventions de Al Perkins et l’enchevêtrement subtil des guitares de Stills et Hillman.
Pour l’anecdote, Bill Wyman, le bassiste des Stones qui joue sur quelques titres a failli quitter les Stones pour rejoindre Manassas, ce qui en dit long sur la qualité et l’attractivité du groupe.
Ce disque majeur dans l’œuvre de Stills est trop souvent sous-estimé.
Il est temps de réparer cet injustice.