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1971 Eve

SPEED, GLUE & SHINKI - Eve (1971)
Par COWBOY BEBOP le 28 Septembre 2018          Consultée 844 fois

Tout mouvement a ses précurseurs oubliés, tout bouleversement ses initiateurs anonymes, toute révolution ses soldats inconnus. La déferlante du hard-rock psychédélique au Japon, en ce début de décennie 70, ne fait pas exception. Deep Purple n'a pas encore retourné le Bukodan que nombre de formations plus ou moins éphémères émergent déjà parmi la jeunesse musicienne nippone, et se font fi d'émuler, voire même de dépasser, leurs confrères d'Outre-Atlantique. Mais au milieu de tous ces pionniers, pour la plupart oubliés aujourd'hui, il existe un trio qui brille d'un éclat fugitif et particulier : j'ai nommé Speed, Glue & Shinki.

Oui, on dirait presque un titre de dessin-animé pour enfants ; mais pas de canards ni d'éponge anthropomorphe ici, car les pseudonymes « speed » et « glue » font bien sûr référence aux drogues préconisées respectivement par le batteur/chanteur et par le bassiste du groupe. Le premier se dénomme Joey Smith, philippin d'origine ; le second est l'illustre (et à moitié français !) Masayoshi Kabe, bien connu des amateurs éclairés de rock à la sauce samouraï. Enfin, le troisième larron, prénommé — vous l'aurez deviné — Shinki, de son nom de famille Chen (trahissant son ascendance mi-chinoise), aurait été surnommé en son temps le « Hendrix japonais ». Bien que le bougre tricote habilement, la comparaison reste quelque peu surestimée ; néanmoins, lui a eu le mérite d'inclure ses collègues dans le nom de son groupe.

Si Joey n'est alors qu'un petit nouveau dans le monde merveilleux de l'industrie musicale, Shinki et Kabe ont déjà un pedigree respectable au sein de la scène rock japonaise, chacun ayant fait ses armes au sein d'un « group sound » célèbre : le premier chez POWERHOUSE (qui avait démarré sa carrière sous le joli nom de MIDNIGHT EXPRESS BLUES BAND), le second chez les vénérables GOLDEN CUPS, fondés en 1966. Ce n'est qu'en 1970 que Kabe et Shinki collaborent pour la première fois, à l'occasion du fugace quatuor FOOD BRAIN qui accouchera d'une unique œuvre, instrumentale et délirante, intitulée Bansan (et plus connue dans nos contrées sous la traduction, correcte mais un peu étrange, de « Social Gathering »). Tout ça pour dire que nos lascars sont depuis longtemps accoquinés avec les joies de l'acid blues et de l'acide tout court.

Un beau jour de l'an de grâce 1971, cette belle bande de bras camés décide, probablement sous l'influence de quelque psychotrope au nom scientifique imprononçable, de sortir un album de blues-rock sous l'égide d'Ikuzo Orita, imprésario de la branche japonaise d'Atlantic Records, qui coproduit d'ailleurs la même année le fameux Satori du FLOWER TRAVELLIN' BAND. Ni une ni deux, ils branchent tout leur bazar et se lancent dans la composition d'une sibylline rhapsodie lysergique, d'une théorie totale des thériaques pithiatiques, d'un cantique aux décoctions alcaloïdes, d'un péan aux potions paranoïaques, apotropaïques et propitiatoires ; bref, d'un éloge de la came en tout genre.

Nulles fioritures ni pirouettes d'enregistrement : une basse, une batterie, une guitare et basta. Le style rappelle immanquablement le premier LED ZEPPELIN, mais en nettement plus dépouillé et crasseux — on est finalement dans ce qu'on pourrait presque appeler un « proto garage-rock ». Les influences sont également très perceptibles : principalement du blues psyché naviguant entre CREAM, le ZEP et HENDRIX ; avec un peu de la lourdeur pataude du SABBATH et un rien du tranchant d'un Roi Pourpre schizo. Malgré tout, il faut reconnaître que les riffs ne débordent pas vraiment de charisme ni d'originalité : on est loin d'un « Dazed And Confused » ou d'un « Sweet Leaf ». Mais pour l'amateur de hard-rock un peu heavy ayant fait le tour de ce que les groupes anglophones proposaient en ce millésime 71, Eve reste une écoute sympathique, à défaut d'être renversante.

Le groupe ne propose ici que des morceaux originaux, mais, chose étonnante au premier abord, les paroles sont intégralement en anglais. Rappelons-le : Joey Smith, le chanteur, est philippin, et donc plus versé dans la langue de Milton que dans celle de Kawabata. Et même si c'est un peu dommage de ne pas profiter du dialecte vernaculaire (le textes en japonais sont décidément trop rares dans le rock de l'époque), c'est au fond tant mieux : car ce qui fait une grande partie du sel de l'album, ce sont les textes concoctés par le cerveau de cet obsédé de la schnouff.

L'album débute par « Mr. Walking Drugstore Man » (devinez de quoi ça parle !), et son riff d'un simplicité brute et sans concession. On a déjà là le plan de presque tous les morceaux : un riff bien bourrin autour duquel Shinki tourbillonne de manière plus ou moins inspirée, tandis que Joey martèle aussi allègrement qu'il chante platement. Ce chant mollasson est en effet un des gros points faibles du groupe ; certes, tout le monde ne peut pas être Plant ou Gillan, mais un peu plus de fougue et d'implication n'aurait fait de mal à personne. « Big Headed Woman » est un blues délicieusement apathique, ainsi qu'un véritable anathème prononcé par Joey contre une fille qui non seulement l'aurait trompé, mais qui aurait en plus — crime irrémissible ! — pillé sa réserve de stupéfiants. Les interventions de Shinki sont parmi les meilleures du disque, entre un Albert KING planant et un CLAPTON déglingué. Ce triptyque laudanisé s'achève par le paranoïaque « Stoned Out Of My Mind » (évidemment), dont la rythmique plus consistante et pêchue évoque un rock brouillon à la 13th FLOOR ELEVATORS.

Vient ensuite « Ode To The Bad People », qui sent un peu le réchauffé mais reste efficace. Quant à « M Glue », il consiste en deux minutes de tripatouillage de cordes, suivi d'une espèce de respiration qui accélère de plus en plus avant de ralentir à nouveau. Le tout est quelque peu déroutant et anxiogène, mais on comprend mieux quand on se rend compte que l'initiale M fait référence à Marusan, célèbre fabricant japonais de maquettes à monter soi-même. Or que faut-il pour monter un avion miniature ? De la colle, bien sûr ! Malheureusement, l'énergie du trio s'étiole sur la fin de leur long play. Joey plane quelque part au-dessus de l'ionosphère et « Keep It Cool » n'est sauvé du bad trip que par un solo assez enflammé et un final tantrique à la FLOWER TRAVELLIN' BAND, malheureusement coupé en plein élan.

Et puis arrive « Someday We'll All Fall Down ». Joey s'adresse directement à nous, demandant notre calme et notre attention pendant qu'il « accorde sa guitare ». S'ensuit alors une ballade acoustique douteuse, où le Philippin délivre un message de paix et d'amour pendant que le pauvre Shinki galère visiblement lors de certains passages. Ajouté à la qualité médiocre de l'enregistrement, on a vraiment l'impression d'entendre un vieux bootleg de Woodstock, enregistré à quatre heures du matin par un antique hippie manchot, au milieu des tentes défoncées et des canettes de bière vides. L'hypothèse la plus probable reste qu'étant tombés à court d'éther pour la fin du disque, il se sont mis à la weed...

Bizarrement, alors que le FLOWER TRAVELLIN' BAND est adulé par les critiques pro-rock locaux et internationaux, les pauvres Speed, Glue & Shinki passent totalement à la trappe. Il est vrai que les charts japonais étaient encore très majoritairement occupés par les group sounds et autre formations de proto J-pop. Sans compter que les zozos du FTB, s'ils n'étaient pas beaucoup plus sérieux que nos trois Stooges du blues, bénéficièrent tout de même d'une campagne marketing bien plus consciencieuse et affûtée. Face à l'échec commercial absolu de leur L.P. — qui pourtant n'était pas ce qui se faisait de pire au Japon à cette époque, loin de là — les trois mousquetaires de la reniflette perdent une grande partie de leur enthousiasme. Speed, Glue & Shinki rejoindront-ils l'immense cimetière des groupes impermanents — ou leur reste-t-il encore assez de bougeotte et de camelote pour un second tour de piste ? Vous le saurez au prochain épisode des « Aventures merveilleuses de Speed, Glue & Shinki au Pays Lysergique » ! (Spoiler : oui, mais il est nul).

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   COWBOY BEBOP

 
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- Shinki Chen (guitare)
- Masayoshi Kabe (basse)
- Joey Smith (chant, batterie)


1. Mr. Walking Drugstore Man
2. Big Headed Woman
3. Stoned Out Of My Mind
4. Ode To The Bad People
5. M Glue
6. Keep It Cool
7. Someday We'll All Fall Down



             



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