Non votre chroniqueur n’est pas ivre et ne s’est pas pris les doigts dans le tapis en tapant le nom du groupe et il ne s’agit pas non plus d’une faute de typographie ou d’une erreur d’imprimerie. Sous le nom de Howlin’Wilf se cache en fait le pseudo de James Hunter. Effet de marketing, ce disque sera réédité sous forme en 2006 suite à la percée du guitariste et si Big Beat édite alors le CD avec la pochette d’origine, le label n’oublie pas d’y apposer un petit autocollant jaune précisant qu’il s’agit là du vrai premier disque de James Hunter, alors quasiment inconnu lors de l’enregistrement en 1986. Les plus chanceux avaient pu voir le groupe au Saint Louis Blues, une salle parisienne que certains aficionados regrettent encore.

La pochette nous éclaire quelque peu sur ces énergumènes. Si les musiciens sont sapés entre mode fifties et mods, on retrouve derrière eux quelques enseignes de labels bien connus d’orientation R&B, Blues, Soul et Rock n Roll. Ajoutons-y le nom du groupe qui fait clairement référence au label de Chicago Vee-Jay Records fondé par le couple Vivian Carter et James Bracken, une petite maison de disque qui publiera Jimmy REED, John Lee HOOKER, The Spaniels, Jerry Butler et … les BEATLES, les Fab Four étant bien malgré eux la cause principale de la disparition du label.

Originaire de Colchester, Howlin’Wilf (aka James Hunter) a connu une première partie de carrière en dent de scie, jouant essentiellement dans les circuits des bars et des pubs. En 1996, le chanteur guitariste allait sortir de l’anonymat par l’entremise de ""Believe What I Say" publié par Ace Records⃰ dans lequel Van MORRISON venait lui prêter main forte sur deux titres. Depuis 2013, l’anglais a reformé une nouvelle formation The James Hunter Six et décroché un solide contrat chez Daptone Records. Après avoir pas mal galérer, Howlin’ Wilf alias James Hunter est devenu l’un des artistes préférés des programmateurs européens, les albums de l’anglais étant généralement au dessus de la production contemporaine.

Bien sur avec ce pseudo, on pense aussitôt à Chester Burnett, célèbre Loup Hurlant, sauf que là au lieu d’avoir affaire à un canidé puissant, c’est à un jeune chanteur d’à peine 24 ans auquel on est confronté. D’entrée de jeu, la quatuor nous expédie en plein cœur des fifties avec "Got A Thing For You" une création du chanteur entre R&B et Rockin’ Blues. La sonorité ne peut qu’évoquer les groupes noirs qui écumaient les dance floors et les clubs enfumés. Doué pour la composition, l’anglais nous délivre quatre autres compos : "Same Old Nuthin’", un R&B dans lequel le chanteur susurre comme un chat sur le point d’être écorché. "Wilf’s Wobble" une pièce quasi instrumentale nous renverrait presque vers Pee Wee Crayton, tandis que "Can’t Stand It No More" est un modèle de Soul Blues larmoyant dans lequel l’harmonica vient nous tirer de notre torpeur alors que la rythmique essaie de nous y faire replonger aussi sec. Dernière compo avec "Shake It", un boogie rappelant John Lee HOOKER ou Hound Dog TAYLOR mais en moins frustre et plus gentillet.

Au rayon des standards, la troupe s’attaque au "Ya Ya" de Lee Dorsey. Enorme succès accédant en 1961 à la 7ème place du Hot 100 pour celui qui officiait encore comme carrossier, la présente version se détache de l’originale s’inscrivant dans celle de Lazy LESTER avec un sympathique appui d’harmonica. Libre à chacun de se trémousser sur les diverses adaptations françaises (Richard ANTHONY, HALLYDAY ou Gary l’Ange Noir ou DALIDA) à chacun son truc ! Howlin’ Wilf assène une version modérée et bien décalée de "Summertime", célèbre pièce du couple GERSHWIN figurant dans l’opéra "PorgyAnd Bess". L’un des titres les plus joués au monde reste ici anecdotique : il faut dire que malgré son entame "Summertime, and the livin' is easy- Fish are jumpin' and the cotton is high …", il y a bien longtemps que les poissons ne sautent plus et font plutôt office de gavage. La reprise de "Mellow Down Easy", s’avère trop respectueuse surtout quand on connait ce qu’en feront les NIGHTPORTERS dix ans plus tard. Sur ce coup, on ne peut s’empêcher d’avoir une nette préférence pour la version originale de LITTLE WALTER ou celles de Ric Cartey ou du Paul BUTTERFIELD Blues Band. Le chant du genre chat écorché commence à lasser quelque peu sur "Farther Up The Road", compo de Joe Medwick et Don Robey popularisée par Bobby Bland. Magic SAM, Magic SLIM ou Johnny Copeland en délivreront des essais plus facilement transformés.

Le groupe apporte une orientation Rockin’ Blues à "I Got My Eyes On You", un doo-wop des Clovers, la guitare de Dot délivrant au passage un solo aussi bref qu’excellent. Somptueux titre de la chanteuse Soul de Detroit Barbara Lewis, "Hello Stranger" incluait un passage d’orgue un peu scolaire et un rythme de bossa nova qui disparaissent ici pour une version tonifiante et simple. Nous terminerons cette petite escapade avec les deux titres qui devraient remporter les meilleurs suffrages "Get It Over Baby", un inusité d’Ike TURNER et "Don’t Let It Be In Vain", une pépite des Five Royales, deux formations influentes dans le répertoire du futur James Hunter.

Ce premier opus laisse présager de la future consécration que le chanteur allait finir par décrocher après des années de galère. Produit sans surenchère par Boz Boorer (futur guitariste de MORISSEY), "Cry Wilf !" aurait gagné un bon demi-point si le chant n’était pas si répétitif et écorché. Un premier disque qui propose une sonorité vintage et une orientation très R&B. Un petit bijou qui n’a pas encore le clinquant ni le ciselage des futures productions. Pour plus de clarté, le disque est classé en R&B. Note réelle 2,5.

⃰Il s’agit là du label anglais et non de la maison de disques américaine fondée par Johnny Vincent et dont le logo figure sur la photo de la pochette avant.