Je suis assis dans une pièce différente de celle où vous vous trouvez. J’enregistre le son de ma voix et je vais le jouer à nouveau dans la pièce jusqu’à ce que les fréquences de résonance de la pièce deviennent majoritaires rendant mon discours inintelligible si ce n’est la notion de rythme l’accompagnant. Ainsi ce que vous allez entendre, ce sont les fréquences de résonance naturelles de la pièce articulées par le langage. Je ne considère pas cette activité comme une démonstration d’un fait naturel, mais plus comme un moyen d’atténuer les irrégularités que mon discours peut revêtir.

Ce fameux bégaiement, qu’on essaye par tous les moyens d’effacer. 32 répétitions de ce texte seront ainsi nécessaires. Au bout du bout, impossible de songer qu’au départ il ne s’agissait que d’une calme voix humaine. Celle d’Alvin LUCIER, compositeur phénoménologique américain éteint le 1er décembre 2021, comprenant en 1969 que l’espace architectural pouvait aussi constituer un instrument musical à part entière.

LUCIER s’était auparavant fait remarquer avec son œuvre Chambers en 1968 où il demandait à des performeurs de trouver un moyen de réaliser des sons avec des capsules, des bouteilles, des missiles vides et d’autres objets. Des petits et larges environnements résonnants comme il les nommait alors.

Si l’intérêt consistait en la découverte et la transformation pour Chambers, I Am Sitting In A Room se consacre entièrement à son narrateur, non pas allongé sur un divan mais assis sur une chaise, un tabouret quelconque entre quatre murs symétriques ou pas. Pas vraiment d’explication supplémentaire ne serait en réalité nécessaire, le manifeste résidant entièrement au sein du texte introductif. L’œuvre fait ainsi interagir une voix humaine et son environnement immédiat, menant à l’émergence de résonances partagées par les deux entités.

Conçue via deux magnétophones, un micro et une voix, le performeur enregistre une première fois sa lecture d’un texte. Il est ensuite diffusé dans la pièce et enregistré à nouveau. Les propriétés acoustiques de l’espace transforment à chaque itération le discours, les fréquences de résonance par rapport à la pièce se renforcent peu à peu, alors que les autres sont atténuées. Seul le rythme des mots reste reconnaissable, fil rouge derrière des bruits dont l’étrangeté va croissant.

Chaque répétition déforme les syllabes et les fait résonner. A la fin, on ne plus distinguer si un mot démarre ou se termine. Ne reste qu’une simple vibration pure, un motif abscons sous forme d’anonyme drone. Une vague. Un sonar sondant les profondeurs aquatiques dans un mouvement hypnotique faisant remonter chaque aspérité. Une phrase est devenue un curieux fragment mélodique tonal. Un paragraphe s’est métamorphosé en musique.

Un premier enregistrement de l’expérience fut réalisé en 1969 à l’université de Brandeis où l’artiste enseignait. Notre version fut gravée les 29 et 31 octobre 1980 dans le salon de chez LUCIER à Middletown.

Indéniablement, cette pièce est inévitablement liée à la notion de « chez soi » et à un certain artisanat.
Comme un processus en marche. Naturel, fascinant, personnel, unique, organique. Et de fait, difficilement transcriptible via une simple note.

Émergeant lentement de la route sablonneuse, deux gigantesques lames épaisses parallèles, soudées en forme de U et prolongées par une tige, le tout disposé sur un véhicule ressemblant à un tank. Les vibrations pures d’un diapason géant sont sur le point de déflagrer.

Assis dans mon fauteuil, face à mon bureau sur lequel trônent un cahier totalement vierge et un whisky bien tassé, j’observe le visage de James West s’abîmant soudain dans l’étonnement puis l’horreur. Nous nous préparons à l’apocalypse selon Saint John SHORE.