Parmi les albums qui ont passé la redoutable épreuve du feu de la qualité et de l’originalité voici le Minotaurus de MANSUR, formation née en 2019 et emmenée par Jason Köhnen (The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble, The Mount Fuji Doomjazz Corporation, The Lovecraft Sextet) avec Dimitry El Demerdashi (à l’oud) et Martina Hórvath (vocaux). Minotaurus est le second album du groupe mais c’est aussi un album un peu particulier car purement ambient, d’une grande uniformité tout du long, et aussi parce qu’il a été improvisé entièrement live.

L’idée conductrice de Minotaurus est celle de l’introspection, de la réflexion sur soi-même, le Minotaure représentant le monstre qui peut être tapi au fond de nous, et en chacun de nous. L’album a également pour vocation de nous transporter dans des décors de ruines, de souterrains et de labyrinthes, au sein des anciennes civilisations Minoennes (Crète, Santorin) et Phéniciennes (Phénicie ou Liban actuel) ; l’oud, largement mis à contribution, peut évidemment nous faire penser au monde arabe, aux terres turques, mais on ne doit pas oublier qu’il est aussi utilisé en Grèce (il est cependant trop récent pour avoir été utilisé durant la période de la Grèce antique).

S’agissant d’un instrument de musique modale (on y mélange les modes majeurs et mineurs pour faire court) et qui vient de l’Orient et se prête à l’improvisation, l’oud, au contraire de la guitare et du luth, ne permet pas un jeu d’accords ; on peut toutefois jouer les notes successivement et très rapidement. Si on évoque la musique modale, arabe par exemple, ou indienne, c’est que l’on rencontre parfois des modes qui sont liés à certains moments de la journée. N’étant pas spécialiste de ce type de musique je m’arrêterais à cette évocation mais on peut toutefois y voir un lien avec ce Minotaurus dans le sens où cette musique s'avère parfaite pour être jouée le soir, lorsque le crépuscule point et que le Soleil s’apprête à s’éclipser derrière les dunes ou les forêts de pins.

Minotaurus est un album d’ambient ; si l’on prend le concept d’ambient dans sa définition la plus originelle, celle de Eno, il est clair que Minotaurus y trouve sa place car l’uniformité de ses atmosphères, alliée au jeu d’improvisation sur l’oud qui reste cantonné ici à un instrument d’ambiance, fait qu’il s’agit d’une musique qui n’a pas vocation à être remarquée. Elle plante le décor, le nourrit, projette des images, mais aucun titre ne se détache réellement l’un de l’autre, ce qui est justement la caractéristique propre de l’ambient.

Minotaurus est dark ; le background sonore fait de drones, de grésillements, de voix spectrales, évanescentes, de susurrements, et de divers bruitages, insuffle la couleur de ce voyage imaginaire ; bien sûr on peut adhérer à l’idée de départ et à cette histoire mythique du Minotaure qui nous attendrait au détour d’un corridor illuminé faiblement par quelques torches accrochées au mur. Mais on peut très bien choisir de se transporter dans une oasis, entourée de dunes, et regarder notre étoile rougeoyante faire ses adieux alors que les ombres des palmiers s’allongent pour se confondre alors avec celles de l’obscurité étoilée. Après tout, ce sera votre imagination qui commandera, la musique n’étant jamais qu’une proposition.

Minotaurus nous amène au mysticisme ; bien évidemment cela est lié à ses couleurs orientales, à celles de l’oud notamment. Lorsque l’on regarde les étoiles, la voute céleste illuminée, tout en étant perdu dans cette vaste étendue désertique de sable, comment ne pas envisager être gagné par lui ?

Minotaurus développe des atmosphères hypnotiques ; l’hypnose est parfaite pour l’endormissement et trouver le sommeil. Où est la réalité ? Où est l’imaginaire ? Notre cerveau si facile à duper finit par confondre les deux. Sommes-nous endormis ou éveillés ?

Minotaurus est donc une proposition de voyage particulièrement attractive. Ce mélange d’électronique moderne et d’instrument traditionnel, comme l’oud, réussit à développer des atmosphères suffisamment originales pour lui donner une chance. Cet album semble toutefois exercer le plus fort de son emprise au crépuscule. Minotaurus est donc possiblement une œuvre aux atmosphères crépusculaires, idéale pour le passage de notre esprit à un état de transition, entre deux mondes, pour gagner celui, tout puissant, de l’imaginaire puis des rêves.

Note : 3.75/5