Arushi JAIN est une chanteuse et pianiste née en Inde ; elle a quitté son pays à l’âge de 18 ans pour aller vivre aux Etats-Unis (depuis plus de 10 ans maintenant). Elle reconnaît être tiraillée entre ces deux mondes tellement différents, dit avoir subi un réel choc culturel et a pu de ce fait se questionner sur son identité. A chaque retour dans son Inde natale elle se sent différente à cause, précisément, de cette existence vécue à l’étranger.

Sa musique est également partagée entre plusieurs influences, la musique classique indienne et la musique électronique, à base de synthés modulaires essentiellement, dans un esprit purement ambient, méditatif ou contemplatif. Certains pourraient voir dans ses chansons ‘heavenly’ une certaine forme de prolongation de la musique ‘new-age’ *, étiquette pas toujours très positive tellement le style en vogue à une époque a donné le meilleur comme le pire - surtout le pire en fait - mais ils auraient tort de passer à côté de cet album (le second sous son nom après Under the Lilac Sky, 2021).

La raison en est qu’il y a une authenticité réelle dans son travail car la seule musique qu’elle connaisse est la musique classique indienne qu’elle adore mais qu’elle ne suit plus de manière ‘classique’ (c-a-d avec apprentissage et suivi par un ‘guru’). Evidemment, comme elle le reconnaît elle-même, sa musique casse les règles conventionnelles ; elle n’utilise pas de sitar, instrument traditionnel, elle prend une évidente liberté de forme mais il n’en demeure pas moins que ses compositions puisent leur source dans la musique classique Hindustani. Ce qu’elle compose nécessite une grande part de débrouillardise puisque le piano, ou l’électronique basée sur le clavier, n’autorise pas les micro-tonalités (micro-intervalles) que l’on retrouve dans la musique classique Hindustani et que permettent le sitar ou le rudra veena - bien qu’instruments frettés - en tirant les cordes.

Si le précédent Under the Lilac Sky était basé sur des râgas (trad : couleur, teinture) du soir, les neuf titres de Delight (grande joie, ravissement), composés et enregistrés à Long Island, puisent leurs humeurs dans le râga Bageshri dont on dit qu’il transmet ce sentiment d’attente des retrouvailles avec l’être aimé. Selon elle, "Bageshri incarne la réalisation que vous êtes tombé amoureux sans le savoir. Cela déclenche en moi une immense dévotion, juxtaposée à un aveu poignant de la souffrance ; car l’amour aussi immense est souvent difficile à rendre."

Par rapport à l’album précédent on trouve dans ses rêveries plus de diversité instrumentale, notamment avec intervention d’un saxophone discret sur plusieurs titres, un violon sur "Exquisite Portraiture", une flûte sur "Imagine an Orchestra" ou encore une guitare classique sur le titre d’ouverture "Still Dreaming", une composition qui annonce d’emblée la couleur de ce qui suivra sur l’ensemble de cet album de 43 minutes.

Si Under the Lilac Sky était un bon album, Delight le surpasse ; les diverses couches de voix de JAIN sont plus présentes, toujours éthérées, célestes, semblant venir de partout et de nulle part, et c’est ce qu’on recherche, même si parfois tellement imperceptibles qu’on peine à les identifier "Imagine an Orchestra" ; en fait, un seul titre est un instrumental : "I Surrender". On sent que JAIN a fait un net pas en avant, l’ensemble est plus riche. Notamment "Still Dreamin", "Exquisite Portraiture", "Play in the Void", "Our Touching Tongues", ou "Portal to Silver Linings" sont enchanteurs car l’électronique est au service du chant de JAIN, et ce chant classique indien c’est la grande force de l’album, du dépaysement qui nous arrive comme un songe fait d'éther, comme une brume onirique enveloppante. Certains passages sont vraiment d’humeur insouciante, voire joyeuse, et virevoltent comme un papillon dans le vent "Imagine an Orchestra". Le titre qui tranche plus ou moins avec le reste est le dernier "You Are Irresistible" dont les paroles sont en anglais et dont la section rythmique est plus dance. Toutefois le chant en anglais est un peu dommage car il fait perdre aux atmosphères de leur magie et de leurs teintes authentiques.

Delight est un album d’ambient réjouissant car il est original et parce qu'il a la capacité de nous transporter dans un ailleurs plein de douceur et de contemplation et c’est ce qu’on attend de ce type de musique. On se laisse facilement prendre dans ce royaume des songes, de rêverie teintée de mysticisme. Peut-être sera-t-il également pour certains une forme d’approche douce de la musique Hindustani, de découverte d'autres arts musicaux.

Note : 3.75/5.


• Evidemment, je ne qualifierais pas vraiment cette musique de ‘new-age’, car la ‘new-age’ est avant tout (ce qui veut dire ‘pas uniquement’) une création d’occidentaux qui se sont ouverts à d’autres spiritualités, asiatiques et africaines notamment pour en faire une sorte de bricolage spirituel et artistique, voire qui ont redécouvert la leur… je ne suis pas sûr que ce courant ait du sens pour des artistes comme JAIN qui ne font que jouer, dans une forme différente, leur musique classique, et qui ne sont pas dans un mouvement de redécouverte de leur spiritualité. Ceci étant je comprendrais bien la tentation d’y voir une musique entrant de manière plus ou moins lâche dans ce courant musical.