Nous y voilà encore menés, telle une créature assoiffée irrémédiablement attirée par cette oasis de fraîcheur après un effort suranimal, ou ces fourmis ayant trouvé le chemin optimal, cependant épuisant, entre leur foyer et une source de nourriture intéressante.

Ces immensités océaniques entre bleu et vert ne sont pas une erreur d’impression, s’octroyant une autre part du lion une page sur deux d’un livret proposant la judicieuse traduction en anglais de chansons élaborées en japonais, langue demeurant opaque pour la plupart d’entre nous européens. Hormis ces imageries aquatiques aux profondeurs variables, à première vue, on ne voit rien d’autre pouvant relier certaines folies paranoïaques animant à la fois le Meddle de PINK FLOYD et le travelling emblématique du Stalker signé Tarkovski à la douce Ichiko AOBA, dont les compositions délicatement enluminées s’inspirent des rêves d’une enfant pas si lointaine temporellement parlant, ayant grandi avec Disney et les mangas du studio Ghibli.

Ce n’est pas la première fois que l’eau occupe une place centrale sur les pochettes des disques élaborés par AOBA. La jeune femme pose ainsi debout dans une baignoire pour le single Seabed Eden puis nue nageant au fond de l’océan telle une sirène quasi irréelle, imagerie choisie afin d’orner Windswept Adan. Ce dernier constitue l’inaugural volet d’un diptyque dédié à la nature et aux îles nippones Nansei dont la suite déboule cinq ans plus tard sous la forme de Luminescent Creatures toujours composé en étroite collaboration avec Taro UMEBAYASHI.

Un murmure d’ange retentit, avant l’irruption de harpe, piano et flûte recréant l’aspect bucolique et reposant d’un somptueux jardin japonais. Chuchotis puis violons enrichissent une instrumentation ne sachant choisir entre jazz et pop de chambre et s’évanouissant progressivement en même temps que le soleil commence à déserter cette pièce sommairement décorée. Une fée passe. Bien qu’annonçant nettement la couleur, "COLORATURA" n’en fait figurer plus qu’une sur sa conclusion : le noir d’une nuit finalement tombée, étape-repos d’un voyage introspectif vu comme un retour aux sources.

Luminescent Creatures est en effet un parfait album-remède à l’accélération bruyante du monde. Ode à l’écoute du bruissement du vent touchant les grands arbres, des orages rafraîchissant les étés trop ardents ou du sinusoïdal bruit de la mer fracassant les premiers rochers des plages, le disque offre un minimalisme qui nous ramène à l’élégant post-rock du TALK TALK tardif, aux instants intimistes que partagent Nick DRAKE et sa guitare voire à l’introversion attachante du tout jeune COLDPLAY. Parmi ces titres, le magnifique triumvirat constitué par "Tower", "FLAG" et "Luciférine" brille particulièrement.

"惑星の泪" termine l’album via ce que l’on pourrait interpréter comme une berceuse à destination d’un chérubin virginal sur le point de clore ses petits yeux et de s’abandonner avec confiance à Morphée. Ce soir, je n’aurai pas besoin d’allumer ma radio, les murmures d’Ichiko se chargeront de rassurer les tics d’une oreille nerveuse.

3.5 arrondi à 4.