Le 6 décembre 1983 à Ontario a lieu une rencontre extraordinaire entre deux hommes : l’un est un bluesman aguerri, au toucher de guitare unique, l’autre, virtuose de la guitare est une jeune star montante : vous l’aurez compris, il s’agit d’Albert King et de Stevie Ray Vaughan. C’est une période charnière pour les deux hommes : Albert King est en déclin progressif, il enregistrera son dernier album l’année suivante. L’époque du chef d’œuvre « I’ll Play the Blues for You » où il était alors au sommet de son art est maintenant loin, même si, comme le prouve cette « jam session » son talent est resté intact. Quant à Stevie Ray Vaughan, cela fait un peu plus d’un an qu’il a enregistré Texas Flood (enregistré en novembre 82 et sorti au début de l’année 83), qui fut un immense succès , récompensé par deux Grammy Awards. Il donna un second souffle au blues, un peu en perte de vitesse depuis quelques années. Il n’a alors enregistré qu’un album mais il est déjà perçu comme un « grand » du blues.

« In Session » est en fait une émission télévisée qui a été conçu dans l’intention de réunir deux musiciens et de leur donner l’opportunité de « jammer » ensemble. Opportunité qui n’est sûrement pas pour déplaire à SRV qui idolâtre Albert King depuis son enfance. Cette émission a duré deux saisons, d’abord en 1983, puis en 1988 ; 13 sessions ont été enregistrés par saison, avec des rencontres entre B.B. King et Larry Carlton, Don Everly et Burton Cumming ou encore entre Dr. John et Johnny Winter. Albert et Stevie sont accompagnés d’une solide section rythmique composé de Tony Llorens à l’orgue et au piano, de son frère Michael à la batterie et du bassiste Gus Thornton (des musiciens qui dans ces années-là accompagnaient Albert King, ils joueront d’ailleurs l’année suivante sur son dernier album). Ils jouent des morceaux du répertoire d’Albert King à l’exception de « Pride And Joy », composition phare de SRV.

« Call It Stormy Monday », blues orageux composé par T-Bone Walker donne le ton de cette « Jam session » . Albert King chante sur tous les morceaux à l’exception de « Pride And Joy » où c’est naturellement SRV qui tient le micro. Cette version de « Pride and Joy » est très intéressante car elle dévoile toute une facette du talent d’Albert King qui, rien que par l’ajout de quelques notes glissées très subtilement en contrechant à des moments opportuns, donne tout de suite une saveur supplémentaire à ce blues. A l’écoute de ce live, l’influence qu’a exercé Albert King sur Stevie Ray Vaughan devient évidente, même si ce dernier a clairement son propre style. SRV, au jeu plus démonstratif est sans doute plus bavard dans les improvisations qu’Albert King, qui lui a un toucher de guitare plus précis et plus sobre. Mais les deux guitaristes s’avèrent être assez complémentaires et leur confrontation fait des étincelles. Celle-ci prend toute sa dimension dans l’instrumental « Overall Junction » ou même dans « Blues At Sunrise » véritable classique d’Albert King où, très inspirés, ils font parler tout leur feeling. C’est en effet du blues intense que jouent les deux bluesmen : ils nous prennent aux tripes sans relâche d’un bout à l’autre de l’album.

Albert King et SRV semblent avoir un immense plaisir de jouer ensemble et cela s’entend. La session est en effet ponctué d’intermèdes où les deux musiciens se marrent et discutent comme s’ils se connaissaient depuis des années. A les entendre, on dirait deux vieux amis. En tout cas, cet album est une véritable réussite à posséder pour tout fan des deux guitaristes. C’est ce que l’on peut appeler, je crois une rencontre au sommet.