De tous les albums de Marvin GAYE, Let’s Get It On est probablement celui qui exprime le mieux l’essence de la soul. Cette musique de l’âme où l’interprète dévoile le plus profond de son être aura rarement pris une forme aussi sensible et intense que sur cette œuvre d’une grande pureté.

Cette nudité le rendra peut-être difficile auprès de certaines oreilles. Let’s Get It On est exclusivement composé de chansons d’amour. Ça croone et ça roucoule, les love, babe, sugar et autres honey se comptent par centaines. Romantisme, sensualité et sexualité jalonnent un disque faussement uniforme où les balades obsédantes (« Please Don’t Stay ») côtoient les chansons suggestives (« You Sure Know How To Ball ») ou solennelles (« Just To Keep You Satisfied »).

L’enregistrement de Let’s Get It On s’est étalé de 1970 à 1973 ce qui explique une production presque jumelle de celle de What’s Going On. Projet tâtonnant et retardé par des travaux plus pressants ou secondaires, ses errances sont celles de son auteur, et il apparaît évident que la rencontre avec Janis Hunter, jeune femme de seize ans qui deviendra sa muse et sa compagne, en accélérera la réalisation.

C’est l’époque où Marvin GAYE, déjà transformé par une barbe qui le sortait du registre « gendre idéal », commence à porter un bonnet traditionnel africain. Détail vestimentaire apparemment anodin dans une époque où les musiciens opèrent des changements d’apparence radicaux. Chez Marvin, l’habit fait le moine et prend un sens symbolique que la musique renferme sous une forme subtile. Le croyant et le séducteur cohabitent dans le même homme, dans le même artiste, et tendent en vérité vers un même but.

Il semble que Marvin soit parvenu à dépasser cette dualité entre le corps et l’esprit qui le tiraille et le tiraillera encore (cf la pochette d’In Our Lifetime). Il découvre dans sa recherche de Dieu et son amour de la femme une même extase. Deux objets d’adoration qui alimentent une même quête intérieure et se traduit dans sa musique par une ferveur ambivalente.

Écoutez à présent le disque en faisant abstraction de ses paroles, imaginez le chanteur devant une assemblée de fidèles et vous y découvrirez l’impensable : Let’s Get It On est un disque d’une grande spiritualité qui au-delà de sa nature explicitement charnelle, tend vers un absolu. Jamais ces deux facettes de sa vie ne seront si intimement liées, si parfaitement confondues.

Si What’s Going On impressionne par son discours et sa conviction, si I Want You séduit par sa chaleur et sa volupté, Let’s Get It On est une œuvre à nu, plus difficile à apprivoiser mais dont l’enjeu est plus grand. J’invite ceux que ce genre de musique laisse définitivement perplexes à écouter le titre qui referme le disque, « Just To Keep You Satisfied ». Ils y découvriront une beauté qui je crois, transcende les goûts et les croyances.