AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Le Mépris est une expérience cinématographique qui ne peut laisser indifférent. Le scénario aux allures de tragédie grecque n'est pas pourtant de ceux qui au premier abord restent gravés à jamais dans l'esprit du spectateur. La lenteur de l'action, la chape de plomb qui pèse sur l'atmosphère du film sont plus déprimantes que divertissantes. Pourtant, Le Mépris est un film qui marque, que l’on n’oublie pas et qui obsède même. Ce film est avant tout une œuvre à l'esthétique visuelle proche de la perfection, une performance d'acteurs incroyable, le couple formé par Michel Piccoli et Brigitte Bardot transcendant un scénario souvent pénible, et surtout une musique inoubliable. La partition composée par Georges Delerue sublime en effet le film de Godard et accentue la dimension tragique de l’œuvre.

Dès « l'ouverture », le spectateur est immergé dans un océan de beauté, de gravité; les harmonies subtiles, la grâce et l'élégance des cordes se font également entendre sur le « Générique ». La musique de Delerue est constituée essentiellement d'un thème central, intitulé « Thème de Camille » qui revient tout au long du film comme un perpétuel leitmotiv. Alors qu'au début du film, ce thème semble symboliser l'amour idéal entre Camille et Paul, la répétition extrêmement insistante de celui-ci tend à renforcer cette impression de fatalité qui atteint son paroxysme à la fin avec la rupture tragique du couple.

Ce thème joué par un orchestre à corde s'accorde parfaitement à la beauté presque irréelle de Brigitte Bardot et des paysages éblouissants de Capri. Solaire, poignante, émouvante, cette musique à la fois tragique et lyrique nous saisit et nous transperce l'âme. Le thème de « Paul », moins persistant, n'en est pas moins pesant et sublime. Une homogénéité et une cohérence habitent la partition de Delerue. Tout se joue autour du personnage interprété par Brigitte Bardot : son sentiment de mépris est aussi inexorable, intangible et obsédant que le thème principal.

La « Rupture chez Prokoch » n'est rien d'autre qu’une variation du « Thème de Camille ». Cependant le titre de ce morceau est particulièrement bien choisi : le terme rupture résume bien l'idée de fossé, de distance, de cassure qui s'installe entre les deux protagonistes, et ce dès la rencontre avec le producteur américain. C'est l'histoire d'un couple à la dérive, en pleine errance et dont la destinée est sublimée par l'art, le cinéma et la musique. Même leur voyage à Capri ne change rien : « Capri » laisse pourtant espérer dans les dix premières secondes un changement de ton avec la douce intervention d'une flûte mais fatalement les cordes du thème principal reviennent au galop.

Le thème du Mépris, la composition la plus célèbre de Delerue, symbolise à lui seul la naissance de la rupture au sein d'un couple. Ce n'est pas un hasard que Martin Scorsese ait choisi d’intégrer ce morceau dans la bande originale de Casino qui parle en partie de la séparation douloureuse du tandem formé par De Niro et Sharon Stone. L'œuvre de Delerue est certainement la musique de film la plus marquante de la Nouvelle Vague.