Road to Rouen est un peu à part dans la discographie de SUPERGRASS. Sans changer vraiment de style, les énergiques garçons ont mis une pédale douce, on agrandi leur rayon d’action, et tenté des morceaux un peu plus complexes (structure, longueur), avec la même ambition : faire de la bonne musique.

Cette lenteur relative, ce sentiment de mélancolie qui émane de certains passages, tout cela est lié au décès de Madame Coombes, mère de Gaz et Rob. Immense douleur. Nécessité de changer de cadre. Cela les amène au Studio Saint-Mard, près de Rouen, pour une retraite empreinte d’une volonté de sortir un album exempt de single, un disque que les fans devront aller chercher et non découvrir, comme souvent, par le buzz qu’ils en entendront à la radio quand le premier hit viendra leur annoncer le nouveau coup de maître de ces excellents musiciens.

Le résultat final n’est pas si éloigné de leur feuille de route habituelle : « Kick in the Teeth » est un bon morceau dynamique, harmonique, bien écrit. « Road to Rouen » est un d’une hargne proche de celle des débuts, un riff coup de poing, un peu moins garage mais à l’envie intacte. C’est sombre (et ça c’est nouveau), lourd, avec plein de pêche dedans. Du vrai du bon.

« St Petersbourg » confirme leur facette rêveuse, et nous épate par sa poésie. Même dans la catégorie ‘balades’, SUPERGRASS fascine par son sens du rythme, cette science implacable du balancement et de l’écriture qui fait de ce titre bien plus qu’une belle phrase musicale : un excellent morceau de pop aérienne très mélodique. C’est d’ailleurs cette chanson lente qui sortira en single, ce qui en déroutera certains.

Les deux morceaux de bravoure sont « Tales of Endurance Pts 4, 5 & 6 » qui démarre l’album (il s’agit de planter le décor), et « Roxy ».

La piste d’ouverture, au titre qui est sans doute clin d’œil aux grandes heures du rock dit progressif, est un écho à « Moving » qui entamait leur troisième album : planant, onirique. Mais la grande différence, c’est qu’il faut attendre deux minutes avant que le chant de Gaz arrive. Deux minutes interminables (dans le bon sens du terme) pendant lesquelles des lignes de piano viennent se mêler à la guitare, avant que d’imposants cuivres majestueux ne bouleversent le paysage. C’est dans ce paysage que vont s’inscrire des changements de rythme, d’atmosphère, le tout pour un long morceau assez magnifique et totalement inattendu.

« Roxy », après une belle intro au clavier, semble plus classique de leur style (mais toujours en version plus soft). On se laisse bercer et charmer par l’alternance de ce couplet puissant et du refrain rêveur… puis les cordes arrivent, superbement arrangées, pour un long final qui monte, qui monte, de plus en plus rock, pour finir dans un happening sous influence de bombardiers américains sur le Pacifique, le ciel est zébré d’éclairs, il n’y aura pas de prisonniers. C’est génial. On avait décelé ce potentiel énorme sur « Sun Hits the Sky » dans l’album In It For the Money, ils l’ont poussé un cran plus loin et on s’en prend plein la gueule. Quelle maîtrise !

Quand le mot « Fin » conclut superbement ce séjour en terre normande, et qu’on réécoute le disque pour en apprécier davantage ses harmonies, ses rythmes et ses virages, on se dit que la carrière de SUPERGRASS est décidément sans tache.