RAVEDEATH, 1972

Tim Hecker fait de l’ambient cérébrale, aime l’abstraction, et commencera à se laisser pousser la barbe à partir de sa cinquantième année, comme tous les détenteurs d’une maîtrise de philosophie (politique). Au terme « ambient », les inconditionnels de Brian Eno lèveront le sourcil gauche. Puis, un soupir : est-il vraiment possible de renouveler le genre formalisé par l’anglais ?

Et bien évidemment non, mais le canadien Tim Hecker, sous son masque en grille de fer un tantinet inquiétant, parvient à tenir en haleine l’auditeur sur son huitième album. Et c’est bien là que se situe l’enjeu dans un disque d’ambient. Mais cette impression, fatalement très subjective, est difficile à décrire autrement que grâce à des métaphores plus ou moins heureuses. L’ambient de Hecker se vivra, mais ne se décrira pas. Ou alors mal.

Quelques mots sur la superbe pochette. Ce n’est même pas un montage. Car oui, il existe bien en ce monde des ahuris qui s’amusent à balancer un piano du haut d’un immeuble. Où donc ? Dans la prestigieuse université américaine Massachussetts Institute of Technology (MIT). Ce rituel, bête et honteux, génial et superbe, se répète tous les ans depuis 1972. Hecker a déclaré lors d’une interview être tombé sur cette photo, datant du tout premier « Piano Drop », en voulant chercher des images de pianos détruits. Il était alors obsédé par la destruction de millions de cds et de dvds par le gouvernement du Kazakhstan. On ne choisit pas ses névroses.

Le principe de l’album, outre le questionnement sur la dématérialisation de la musique, et sa négation par conséquence éventuelle, repose sur la transformation de sons obtenus à partir d’un orgue à tuyau, situé dans une église islandaise. Ben Frost, autre artisan de bruits, a participé aux sessions d’enregistrements. Hecker aurait ensuite travaillé la matière obtenue, et ajouté divers instruments tels que le piano ou des synthétiseurs.

Ravedeath, 1972 est séparée en divers pistes, mais le tout reste homogène. Cette homogénéité n’empêche cependant pas l’adhésion dans ce disque multicouche, cérébral, donc, et aussi terriblement immersif. Quasi spirituel, commentera le chroniqueur emphatique, sans doute trompé par le lieu de l’enregistrement. Grande qualité, Ravedeath, 1972 est plutôt énigmatique. L’album est tout aussi opaque (la fourmillière « Hatred Of Music », le dense « Studio Suicide, 1980 ») qu’accessible, car des titres comme « The Piano Drop », ou encore le vaporeux « No Drums », fascinent dès la première écoute. Le choix du titre « No Drums » peut interroger car à vrai dire, aucun titre ne contient, comme la totalité de l’album, des sons de percussions, que ce soit batterie tambourin ou crâne de gnous. Tim Hecker tisse-t-il un univers effrayant, oppressant, comme le suggèrerait le titre « Hatred Of Music », ou encore les insistants parasites de « In The Air II » ? Ou bien seulement apaisant ? Le brouillard de « In The Fog I » est peut-être plus protecteur qu’inquiétant, aidé en cela par le piano en pointillé qui guide l’auditeur.

En définitive peu original mais malgré tout aguicheur et surtout très trippant, Ravedeath, 1972 satisfera l’auditeur enclin à l’immersion. Evidemment, le disque ne peut/doit pas être écouté en faisant la vaisselle. « Musique à écouter dans le noir », comme disait…à vous de savoir. (Coil, bande de moules).