Introduction absurde : riverrun : errevie : erevan ? Si James Joyce était un phoque arménien, il s’exprimerait sans doute en morse : ashes to ashes, tusk to tusk.

La musique rock actuelle en est aux rythmes accrocheurs, de ceux qui entraînent les oreilles, les coeurs et les muscles, emballant les nuques en un mouvement de va-et-vient, et les pieds en une ponctuation caracolante. Il n’y a pas un groupe en vogue qui n’applique pas, avec plus ou moins de bonheur, cette recette toute simple. Erevan Tusk, groupe français comme l’indique son nom si l’on est doté du pouvoir de divination, assaisonne dans son premier album prometteur la formule magique à la sauce folk/rock indépendant.

Guitares acoustiques et électriques légèrement saturées, ukulélé, glockenspiel, violons occasionnels et harmonies vocales, viennent s’associer, en une architecture délicate, à la section rythmique toujours entraînante quel que soit le tempo. Quelques claviers apportent leur douceur de duvet, des arrangements scintillants. L’ensemble se veut un mélange à la fois planant et accrocheur. Le résultat est là, immédiatement accessible en même temps que subtil. Un peu oldschool, donc intemporel, quelque part entre les Beach Boys et les Smiths, R.E.M. et peut-être les Smashing Pumpkins dans leur versant introspectif. Une réussite.

Deux chanteurs pour plus de plaisir, Pacôme Genty, qui assume la voix de tête et les ornements aiguës, et Jean-Marie Paillard, plus souvent en avant, qui s’octroie le rôle du crooner magnifique. Lyrisme diffus et soupçon contemplatif, voilà les tons principaux. Et si les paroles sont dans l’ensemble plutôt sombres, il se dégage de la musique, par contraste, une forme de luminosité bienveillante.

La première partie tutoie l’excellence. « Frostbitten », le second titre, est la pépite du disque, entraînante, avec ce souffle lyrique porteur mais sans grandiloquence qu’on retrouvera sur nombre d’autres morceaux. On goûte le bucolique d’un « One of These Days », on chante en chœur avec le militaire, non, le tendre « From the Steeple Spire », on vibre aux spasmes de la basse de « Truth or dare », on partage l’enjouement du désespoir sur « In Your Shadow »… Si l’album semble s’essouffler un peu sur la longueur, c’est qu’il enchaîne les uppercuts pendant une bonne part du temps. « Punctunred Lund » ose une dernière cabriole, à nouveau lyrique, avec des guitares qui dans la seconde moitié virevoltent à la U2. On a connu des premiers albums moins convaincants.

Jean-Marie Paillard signe la quasi-totalité des textes, il s’était déjà illustré dans Starboard Silent Side et il confirme ici la qualité de sa plume. En général, ce n’est que lorsque la musique est bonne qu’on s’attarde sur le contenu des chansons. On manquerait quelque chose de ne pas y prêter attention ici : l’on n’est jamais déçu. Riches et poétiques, les paroles valent le coup d’oreille.

On l’a compris, même si l’on n’est pas doté du pouvoir de divination, Fortify Your Innocence vaut le détour. Album très solide et en même temps riche de promesses, c’est de très bon augure pour la suite.

Conclusion absurde : riverrun : errevie : erevan ? Si James Joyce était un phoque arménien, il s’exprimerait sans doute en morse : ashes to ashes, tusk to tusk.