La jeune virtuose japonaise continue dans sa lancée, progressant sans cesse, brouillant constamment les pistes entre jazz, classique, rock. Après avoir joué avec deux pointures du jazz fusion que sont Stanley Clarke et Chick Corea, elle se paye le luxe de former un trio, accompagnée de Simon Phillips, le batteur iconique du groupe Toto, et d'Anthony Jackson, bassiste polyvalent. Mais ça, c'était en 2011, à l'occasion de la sortie de Voice. Aujourd'hui c'est son troisième album en compagnie de ce fameux duo rythmique, et forcément, les musiciens ont appris à se connaître, à anticiper le moindre mouvement de ses compagnons etc. Fidèle au label Telarc Records, Hiromi nous fait cadeau de 9 compositions, chacune intitulée d'un seul mot (sauf « Life Goes On »), comme un recueil de petites histoires ayant chacune son thème.

Hiromi ne joue pas du jazz pur et dur, mais plutôt une sorte de jazz fusion, mélange d'influences très éparses. Le choix du duo accompagnateur est, en ce sens, très pertinent. Simon Phillips est certes connu pour son travail avec le légendaire groupe Toto, mais ses collaborations s'étendent de Mike Oldfield à Peter Gabriel en passant par Joe Satriani. En 2009, il forme un trio exceptionnel de jazz moderne, nommé P.S.P., avec Phillip Saisse et Pino Palladino... Quant à Anthony Jackson, qui a la particularité de jouer sur une basse 6-cordes, c'est avec des artistes tels que Chick Corea, Michel Petrucciani, Simon & Garfunkel qu'il a eu le privilège de pratiquer son art.

Intituler son album Alive illustre clairement une volonté de montrer qu'on en a dans le ventre et que l'on a plein de choses à raconter. En effet, proposer 9 morceaux d'une durée moyenne de 8 minutes démontre que la pianiste est plutôt bavarde ! Mais la démarche est risquée : il ne faut pas tomber dans le morceau-fleuve, la répétition poussive etc...

Le style de Hiromi est caractérisé par un aspect très technique un peu à la manière d'Oscar Peterson, qui l'a d'ailleurs beaucoup influencée, le côté bluesy en moins. Le titre éponyme le prouve dès l'ouverture de l'album avec sa rythmique complexe et sombre, ses soli égrainant les notes de manière véloce et avec une justesse exemplaire. Le rock n'est jamais bien loin, que ça soit dans les compositions avec des suites d'accords simples (« Seeker ») ou par la rythmique très carrée (« Life Goes On »). Mais elle n'oublie pas son style de prédilection qu'est le jazz et incorpore en plein milieu de « Player » une partie swing jazzy très sympathique ! De temps à autre, les phrasés prennent des airs de clins d’œil adressés à son mentor qu'est Ahmad Jamal ; ils ont tous deux cette manière de jouer de manière un peu déstructurée.

Mais finalement, ses compositions accusent parfois une certaine grandiloquence : si Simon Phillips fait vivre de manière unique les morceaux avec son jeu hors du commun, Hiromi les étire parfois à n'en plus finir. On se retrouve avec des improvisations toujours de qualité, mais interminables, comme en témoigne « Wanderer ». Certains titres sont loin d'être essentiels : citons « Spirit », une ballade un peu naïve et « Firefly » une pièce pour piano solo au thème pas vraiment inoubliable.
De plus, Hiromi semble manquer de spontanéité comme si chaque note avait été écrite sur une partition au préalable. Une certaine rigidité se fait parfois sentir, ainsi qu'un manque de feeling. Le jeu timide d'Anthony Jackson, qui s'illustre pourtant très bien sur « Spirit », n'arrange pas les choses.

Difficile de ne pas être partagé à l'écoute de Alive. L'album contient des passages mémorables comme le titre « Dreamer », et on est de surcroît ébloui par le jeu de Phillips. De plus, l'album présente une certaine cohérence et un équilibre bienvenu, autant au sein des morceaux, que dans son ensemble.
Mais d'un autre côté, c'est une musique un peu froide et mécanique qui, de temps en temps, s'embrouille à vouloir faire trop compliqué, au lieu d'aller à l'essentiel.
Partagé, oui, c'est le mot, entre esbroufe technique et mélodies charmeuses.