Chroniquer un jeune groupe de pop/rock qui a choisi de s'exprimer en français est une tâche plutôt redoutable, inquiétante. Ces dernières années, peu de musiciens se revendiquant du genre ont pu prétendre à une légitimité artistique véritable et malgré quelques réelles exceptions – LA FEMME, MADEMOISELLE K et peu d'autres – le rock français sombre peu à peu dans une déliquescence quasi inéluctable. Aussi, tendre l'oreille sur un quintet assumant non sans fierté les bannières du genre peut à priori faire craindre le pire.

Mais dès la première écoute de l'oeuvre chroniquée, SPLEEN et sa musique parviennent à dissiper avec un talent assez surprenant les tourments exprimés ci-dessus. Disons le d'emblée, cet EP est une véritable réussite et il faudrait être de mauvaise foi pour affirmer le contraire.

Au commencement il y a « Pile ou Face », single imparable au refrain évident qui prend en otage les oreilles dès la première écoute. Ici l'efficacité est reine, le jeune groupe bruxellois ne passe jamais par quatre chemins et les six morceaux de l'EP obéissent à cet impératif esthétique. Souvent la rythmique est dansante, avec des guitares qui n'hésitent pas à carburer sur des cocottes bien funkys, la batterie et la basse plutôt discrètes mais solides s'occupent du reste. Toujours, les couplets semblent annoncer un refrain prévisible, certes, mais véritablement irrésistible à l'instar d' « Infini Absolu » deuxième et meilleur morceau de l'EP. Ce titre est d'ailleurs révélateur d'une tendance étrange et paradoxale qui se fait jour à l'écoute prolongée des morceaux.

Ainsi, si les refrains portent bien la responsabilité de l'intensité mélodique de chaque chanson, il apparaît que ce sont finalement les couplets qui offrent aux morceaux une épaisseur, une consistance parfois mélancolique assez inattendue et qui confère à l'EP sa véritable identité. Composer des tubes pop/rock - qui plus est en français - est un exercice périlleux. Le genre par définition a ses travers, ses zones d'ombres et est capable du pire comme du meilleur. Ici, le pire n'a pas voix au chapitre, le meilleur n'est pas si loin et SPLEEN s'en rapproche avec une insolence et une désinvolture qui présagent quelque chose de terriblement excitant pour l'avenir. Il suffit d'écouter « Choisir de ne pas choisir » pour s'en persuader.

De la pop/rock énergique donc, lancinante et survoltée mais qui sans cesse se trouve rongée par la tonalité parfois triste des paroles qui la portent. « Ce soir on ne pense pas » murmure à quelques reprises le chanteur. Et pourtant... il est bien question de penser ici, essayer de mêler les tourments qu'exprime la plume avec l'évidente et légère vitalité des tubes inhérente au genre, SPLEEN touche au but dès qu'il applique avec soin cette recette éculée certes, mais exécutée de façon irréprochable et dans une musicalité exemplaire. Tout l'intérêt de l'oeuvre réside dans cet alliage heureux qui parvient à concilier des paroles à la sensibilité pudique et un sens du tube dévastateur qui vient rappeler que finalement, oui, pour ce soir on feint de ne plus penser.

En revanche, là où le bât blesse, c'est lors du passage obligé de la ballade et à l'écoute de « Loin de toi » difficile de ne pas sourciller tant la mise en musique des paroles apparaît standardisée et finit par laisser de marbre mais tout ça n'est que du détail.

Ce qu'on peut espérer à l'avenir de ce groupe déjà prometteur et plein d'assurance, c'est qu'il garde ce sens du tube toujours plus aiguisé et aguicheur dont les fulgurances contagieuses finiront un jour ou l'autre c'est certain, par consacrer ses membres - sans doute plus tôt qu'on ne le pense. Par-delà l'évidence et la facilité du tube, un plaisir de faire plaisir se fait entendre à chaque morceau, et rien que pour cette généreuse entreprise, SPLEEN se doit d'être écouté.