Le début des années 60 est une période faste de la carrière de Charles AZNAVOUR qui se trouve à une sorte d’âge d’or de sa carrière marquée par des chansons qui le propulsent et l’immortalisent dans le répertoire musical français. Il est une des grandes voix populaires et c’est dans ce contexte que sort le disque Aznavour Accompagné Par Paul Mauriat Et Son Orchestre. Peut-être est-ce le passage à la quarantaine, mais déjà nostalgique de par sa voix, la nostalgie se fait de plus en plus grave et se propage à tout son art et, dans un monde en perpétuelle évolution où de jeunes artistes émergent, ses chansons parlant de souvenirs ou de regrets ne sont pas destinées à faire des tubes, et pourtant…

"Que C’est Triste Venise" nous plonge dans cet opus. Elle est écrite par la romancière Françoise Dorin et composée par Charles. Ainsi s’ouvre une narration continue où l’émotion se construit lentement. À travers les paroles, un regard se perd dans les ruelles de Venise, aux multiples visages, à la fois magique et mélancolique. La musique vaporeuse et éthérée accompagne cela avec une subtilité remarquable, chaque note semble suspendue.

Après cette mélancolie flottante, "Je T’aimais Tant" et "Le Jour Se Lève" offrent un contraste, avec une musique plus festive. Si ces deux chansons sont plutôt mineures dans cet album, elles annoncent bien l’ambiance jazzy qui s’annonce. "Tu T’amuses" se distingue par son énergie contagieuse, avec des cuivres éclatants et des percussions entraînantes qui en font une pièce résolument jazzy. Un style qui va si bien à AZNAVOUR et dans lequel on est content de le retrouver. Sa voix calme et mesurée transmet une certaine désinvolture. Loin des accents mélancoliques, ce morceau nous plonge dans une ambiance plus dansante et vibrante où il maîtrise son groove et garde la touche d’élégance qui fait toute sa singularité. Plus loin dans l’album mais sur le même ton, l’on retrouve "Chaque Fois Que J’aime" qui respire le swing. Le piano, en fond, apporte une touche élégante et la souplesse rythmique donne envie de se laisser emporter par son dynamisme. L’interprétation claire s’y marie parfaitement, créant une alchimie qui pulse à chaque mesure. C’est une pièce riche et vivante, qui évoque légèrement les ambiances du music-hall.

On renoue ensuite avec la nostalgie qui va aller crescendo. "À Ma Fille" laisse place davantage à des arrangements plus classiques, ponctués de solos de saxophone qui accentuent son caractère intimiste. Elle est une déclaration au ton grave et l’orchestre, apportant une certaine richesse émotionnelle, soutient parfaitement la tendresse profonde qui s'en dégage. Quant à "Il Suffisait Que Je T’aime", l’orchestre avec ses ponts instrumentaux prend un tour plus dramatique. AZNAVOUR y tient un phrasé chanté parlé et se dégage de cette pièce, presque une mélopée venant accentuant le romantisme et la mélancolie. Puis, nous avons "Le Temps" qui mêle habilement des arrangements orchestraux mélancoliques et des refrains presque festifs. Ces transitions subtiles qui font monter l’intensité lui confèrent une ampleur presque cinématographique. Entre gravité et éclat, cette dualité sied parfaitement à AZNAVOUR.

Mais, le sommet de la nostalgie est représenté par "Hier Encore", un classique du répertoire français qui a traversé les décennies et fut repris dans d’innombrables styles et langues. Composée par George Garvarentz, cette chanson est celle d’un homme qui fait le bilan de sa vie avec lucidité. Charles y pose une voix fatiguée mais digne, empreinte d’une sagesse qui ne cherche ni à provoquer ni à émouvoir. Rien ne distrait la parole, face à un homme qui raconte, on écoute en silence. La musique est une vague douce qui accompagne cela avec une délicatesse extrême entre un piano tout en arpège, des cordes dans toute leur superbe et des cuivres timides ici et là. Cette chanson se construit sans détour, juste la ligne droite de la mémoire, la beauté de ce qui ne revient jamais, dans l’immensité d’un passé que l’on n'arrive plus à saisir.
L’orchestre de Paul Mauriat s’impose comme un partenaire parfait. Dans "Avec", la ballade touchante bénéficie d’une orchestration soignée, riche et quasi cinématographique, tandis que "Toi Et Tes Yeux D’enfants" s’ouvre sur un orchestre élégant, avec son piano créant une ambiance feutrée presque de bar jazzy. "Quand J’en Aurai Assez" poursuit dans une veine plus moderne. Les compositions sont une vraie dynamique, les genres fusionnent avec brio, alliant classique, pop, jazz, et même des influences exotiques créant des pièces complètes.

Que dire de plus si ce n’est que ce disque est une jolie réussite. La nostalgie est le maître mot mais elle laisse volontiers place à plus de légèreté voire à des rythmes syncopés. Le tout est habilement accompagné d’un orchestre riche et élégant. Ce mélange subtil d’émotions en fait une œuvre complète, fidèle à l’esprit d’AZNAVOUR, et, donc un bon album si l’on veut découvrir l’artiste.