Les années 60 représentent une période de grands succès pour Charles AZNAVOUR, déjà largement reconnu en France et surtout à l’international, notamment aux Etats-Unis où il réussit véritablement à se faire un nom. Alors que la décennie touche doucement à sa fin, dans la continuité de ces dernières années, il traverse son époque avec ce mélange de mélancolie et d’élégance qui fait son identité et livre son nouvel album, Entre Deux Rêves.

Cet album est une fuite douce et c’est le classique intemporel "Emmenez Moi" qui ouvre cette échappée. Peut-être même une fuite. Une fuite rêvée, une envie d’ailleurs. Dans cette chanson devenue classique tout est invitation : la voix râpeuse, tendue comme un cordage de bateau, les orchestrations qui évoquent valses et cabarets, les refrains qui s’élèvent comme des voiles gonflées par le vent. AZNAVOUR y incarne ce rêveur fatigué qui imagine l’ailleurs. Une chanson à images, une chanson plus grande que la vie, qui donne immédiatement de la profondeur à l’album.

Il explore aussi la légèreté, "Eteins La Lumière", d’un ton enjoué, fait virevolter les cuivres, les trompettes dans une ambiance festive, où sa voix s’amuse à rebondir sur les mots et les rythmes. On y sent le plaisir du musicien autant que celui du conteur. Ce jeu clair-obscur revient dans "Un Jour" qui partage la même veine joyeuse, mais sans en retrouver tout l’éclat et qui, malgré ses intentions, laisse moins de traces.

Il retrouve sa pleine mesure avec le titre dramatique "Adieu" qui adopte un ton plus retenu avec un chant à contretemps. La voix dépeint une scène tout en se posant sur des harmonies classiques avec des modulations douces. Une ballade de cuivres, une ligne fluide et mélodique, qui se clôt sur un piano tendu, tout d’une jolie réussite d’AZNAVOUR.

L’on connaît sa capacité à créer des tableaux, presque cinématographiques. Dans "Les Années Vertes", il convoque les souvenirs de l’enfance et du passé dans cette douceur mélancolique qui n’appartient qu’à lui. Il y a, dans cette valse lente, un parfum d’album photo. De même, "Tout S’en Va", plus enjouée mais traversée par un sentiment nostalgique poursuit ce chemin. On y retrouve le goût d’AZNAVOUR pour les refrains qui trottent dans la tête mais dont le texte prend toujours un peu au dépourvu par sa finesse ou sa justesse.

L’album alterne ainsi les couleurs, sans rompre son unité. Il y a des chansons plus modestes en apparence, comme "Je Reviens Fanny" ou "J’aimerais", fraiches, simples, dynamiques avec toujours cette pointe de mélancolie. "Yerushalaim" marie chanson française et rythmes orientaux, plus vifs. De son côté, "Entre-Nous" installe un climat plus intime, soutenu par une guitare subtile et des accords légèrement jazz. Là encore, AZNAVOUR marche sur un fil, entre classicisme et discrète modernité. L’intensité dramatique revient en force avec "Il Faudra Bien Te Revenir" porté par un tempo marqué par des tambours et une orchestration tendue.

Plus théâtral, "Au Voleur" arrive sur une note pleine de panache. Portée par des chœurs, une énergie jazzy et un esprit comédie musicale, AZNAVOUR s’épanouit dans ce style qui lui va toujours bien. Même si elle ne figure pas parmi ses plus marquantes, on prend toujours plaisir à le retrouver dans ce registre.

Entre Deux Rêves incarne le moment précieux d’un artiste qui maîtrise pleinement son univers ne cherchant ni à plaire à la jeunesse ni à se figer dans le passé. Les arrangements musicaux sont toujours soignés entre classicisme et touches d’audace. AZNAVOUR chante ce qu’il est, ce qu’il voit, ce qu’il ressent, cela séduit plus ou moins, mais c’est toujours juste.