Imram Brain, ou Bran's Voyage (le voyage de Saint Brandan), est une thématique chère à la culture gaélique, une des mieux adaptées en art, tout comme le mythe d'Arthur, la légende d'Ys en Bretagne...

Máire BREATNACH (prononcer "Maïra Brannah"), Irlandaise jusqu'au bout des ongles, est une violoniste et chanteuse remarquable qui a atteint un niveau professionnel dans les meilleures écoles de Dublin, bien avant de démarrer une carrière soliste. Ses connaissances en musicologie lui permettent de faire paraître des chroniques autour du répertoire traditionnel irlandais.

Son premier enregistrement connu à l'international n'est autre qu'une collaboration en 1991 avec Nobuo UEMATSU, le compositeur japonais, pour le quatrième volet de la saga Final Fantasy, rebaptisé Celtic Moon pour la bande sonore dont elle réalise l'arrangement (voir chronique de Chipstouille). En 1995, elle chante sur la plus belle reprise et peut-être la plus connue de la "Brian Boru's March" (traditionnel gaélique), celle d'Alan STIVELL. Sur le même album, Brian Boru, elle rythme le morceau "Cease Fire" de son fiddle (violon folk).

Elle chante bien, très bien, une voix toute en finesse et qui vous marque comme... comme d'autres Irlandaises peuvent le faire, mais différemment ! Cet organe appelle l'instinct poétique et la sensibilité de personnes point trop terre-à-terre et qui s'intéressent à la musique celtique en (grande) partie pour cela, tout en étant à la recherche d'arrangements raffinés. Un peu comme on a savouré le premier album de Shaun DAVEY sur le même thème quinze ans plus tôt, The Brendan Voyage, on se régale du premier album solo de Máire BREATNACH.

D'abord le livret en lui-même est assez fourni en notes de la musicologue et repères temporels voire historiques. En suivant l'exemple de DAVEY, l'Irlandaise propose un disque "qui s'écoute", même si la réalisation est moins dense en 1995. Les arrangements de cordes sont le fil conducteur, fiddle soliste, quatuor... Un piano feutré vient compléter l'ensemble, ainsi que quelques claviers discrets.

Il n'y a qu'un pas entre l'introduction où BREATNACH joue de l'alto en plus du violon et "Píobaireachd", musique classique pour cornemuse à la base, où le fiddle survole des nappes brumeuses. C'est un peu à l'envie, la musique donne l'impression de ne pas savoir elle-même à l'avance quelle direction elle va prendre et se laisse guider, à l'image du frêle esquif de Brendan sur l'océan Atlantique.

En tout cas, le voyage reste très beau et plein de finesse, égayé par quelques danses passionnantes, "Branohm", "Maarein"... Accordéon (Sharon SHANNON), bouzouki et cuilleres viennent rythmer gaiement ces petites parenthèses à la fraîcheur palpable. On trouve quelques influences jazzy jusque dans le groove ensoleillé, presque calypso, de "Ohm Ripples". Le saxophone ténor de Carl Geraghty, accompagnateur de Mary BLACK, s'y distingue avec force, trop peut-être car l'instrument est surmixé par rapport aux autres.

Le plus beau reste ce duo magnifique au piano entre BREATNACH et Liam Ó Maonlai (des HOTHOUSE FLOWERS), "An tIolar Fíréan", contemplation par Saint-Brandan d'un aigle couleur or qui vole sur l'océan. La double mélodie vocale paraît si simple mais se dirige vers des méandres imprévus, tandis que la main effleure les touches noires et blanches avec la plus grande délicatesse. De l'orfèvre. Un album à écouter et à ranger parmi les références d'une "grande musique celtique irlandaise".