Clotilde Trouillaud, Aurore Bréger (membre du ALAIN PENNEC QUARTET) et Marie Wambergue sont trois harpeuses/harpistes/joueuses de harpe celtique. Au début des années 2000, elles unissent leurs forces en un groupe appelé FILEUSES DE NUIT, rendant hommage aux anciennes légendes européennes sur les dames-esprits qui ont 'occupé' certaines maisons avec leurs rouets comme les dames blanches l'ont fait des chemins, et donnant une nouvelle dimension à la musique bretonne.

La harpe étant un instrument qui se suffit à lui-même et comme souvent de ce côté de l'Europe, en avoir trois réunies en modèle bardique (cordes metal, boyau ou nylon) peut aisément donner une dimension de l'enrichissement que cela constitue, simplement par l'imagination. Cela résume assez bien le plaisir que l'on peut ressentir grâce à ce premier album sobrement intitulé Trio de Harpes, paru en 2005.

Les suites telles "Au bout du fil... la note" et "Ballant soir", qui excèdent parfois les cinq ou six minutes, déroulent les arpèges ou idées mélodiques avec plus ou moins de dynamiques, de fioritures en procurant une sensation enchanteresse constante. Entre les harpes qui se suivent ou celles qui créent des contrechants, on se rend compte à quel point la musique traditionnelle la plus simple peut vite se parer de subtilités agréables à l'oreille.

En termes d'arrangements, "Ballant soir" passe de la plus palpable douceur aux airs les plus hardis, tandis que "Valsillante" suivi de "La cerf-volante" dédouble les temps avec panache. "Mahura", rappelant les danses du centre Bretagne, se voit conclue par un arpège bluesy épatant. La jig demeure le rythme favori de la première partie, particulièrement réussie sur l'intro de "M'en revenant des landes" avec ces enchevêtrements magnifiques. Les mélodies se retiennent fort bien et se révèlent tour à tour sensuelles, chaloupées, exotiques...

Musique bretonne mais aussi personnelle et avec des consonances orientales, notamment sur les "Mélodies hébraïques" et l'époustouflant "Skimningspolkan", ce dernier usant constamment des intervalles mélodiques contrastés que sont la tierce majeure et la sixte mineure, d'où cette sensation permanente de balancer entre rivages orientaux et celtes. Rarement une création musicale a su créer cette sensation en aussi peu de notes ! L'introduction du même morceau propose les résonances de la harpe électroacoustique d'Aurore Bréger, que l'on aurait aimé entendre plus souvent.

Si les FILEUSES DE NUIT font bonne impression à l'époque, c'est d'abord grâce à leur jeu et la complétion de leur ensemble, ensuite pour la qualité de l'enregistrement, 'live', feutré mais épousant les dynamiques à merveille, la pureté des notes aiguës et la puissance des graves (à écouter au casque !). On note aussi une chanson au milieu de tous ces instrumentaux : "Nous étions cinq enfants", chantée par Clotilde Trouillaud. Poème des plus simples au demeurant, elle évoque de par son titre seul les textes toujours métaphoriques qui parlent de la séparation de la Loire-Atlantique avec le reste de la Bretagne. Sans le deviner ici, on retient l'histoire ensorceleuse grâce à la belle prestation chantée, les notes graves, l'amplitude, les paroles d'un autre temps ("Le beurre je coupis, dans le jardin je m'en allis")... Sans oublier la références aux mythiques fileuses de nuit !