Dès la première note, les choses sont établies de manière claire et nette : American Utopia est un excellent album. Et cela confirme que son auteur, David BYRNE, est un grand compositeur, même s'il a tendance à prendre son temps. En effet, si l'on exclut les collaborations multiples et les lives, cela fait depuis 2004 qu'il n'a plus sorti de véritable album studio solo. Et ce n'est peut-être pas plus mal, le talent n'étant pas traité comme un vulgaire agrume que l'on presse jusqu'à l'écorce.

American Utopia, avant d'être un bon album, c'est un album qui s'inscrit dans une plus ample démarche. Apparemment, l'idée serait de répandre plus de positivité dans nos vies, de fournir de l'énergie positive face aux défis actuels, ce genre de choses... pourquoi pas, mais il serait malheureux de se trouver face à une intention artistique qui ne serait qu'un paravent à une médiocrité crasse tentant de justifier son existence. Dieu merci, avec BYRNE, c'est rare d'être franchement déçu, et non seulement American Utopia est effectivement un message de positivité en 10 actes, mais il est donc très bon. Encore que... BYRNE n'est pas le seul responsable, puisqu'on retrouve à la composition, à ses côtés Brian Eno. Et oui, le génie musical tourne peut-être en rond de son côté, mais il reste un compagnon de route des plus agréables et doués. Et on a au moins 4 albums prouvant par a plus b que la collaboration BYRNE/Eno, ça marche très bien [1] – sans compter American Utopia.

Pour rentrer dans le vif du sujet, American Utopia est un album réussi de par la propension de BYRNE à offrir des morceaux qui savent où ils vont, pourquoi, et comment. Le pourquoi a été explicité plus haut, reste à savoir surtout comment. Simple, suffit de faire de la pop.

Décevant, hein ? Et pourtant, il n'y a rien de mieux pour rassembler les foules. Même un compositeur atypique de la trempe de BYRNE l'a compris, ça ne sert à rien de vouloir le succès populaire et en même temps assommer l'auditeur moyen par des circonvolutions stériles qui n'intéressent que les masochistes du son. Il faut avant tout la mélodie capable de saisir d'emblée, de forcer en douceur à rester jusqu'au bout. Et ça, BYRNE sait faire, et il le fait tout au long d'American Utopia. Ce n'est certes pas un festival de tubes, mais si l'album a la prétention d'être un bon opus pop, alors c'est totalement le cas.

Mais American Utopia, c'est un album de David BYRNE. C'est donc un album franchement original, avec des paroles parfois haut perchées mais intéressantes quand même, un sens du rythme toujours aussi impérial depuis maintenant plus de 4 décennies, et des influences exotiques admirablement bien comprises et utilisées à bon escient. Et donc, pour être plus précis, American Utopia est un album de pop chaleureuse et aux refrains entêtants. Et ce, dès le début : "I Dance like this" est encore le morceau le plus « expérimental », du moins dans son refrain, mais à moins de ne vraiment pas supporter la voix ici robotique de BYRNE, on ne peut nier qu'il s'agit d'une grande ouverture. On retrouve également la patte d'Eno en particulier sur "It's not dark up there" et le single "Everybody's coming to my House", qui ne sont pas sans rappeler Someday World (2014), l'album conçu avec Karl Hyde. Cela implique donc de se retrouver avec des cuivres judicieusement utilisés, ni trop rutilants ni trop discrets, et une production exemplaire.

En fin de compte, aucun morceau n'est faible sur American Utopia. Encore qu'on aurait aimé un final autre que "Here", pas trop mauvais mais assez oubliable malgré une énergie touchante. Mais globalement, quand on est désormais habitué à voir les vieilles gloires du rock gésir comme des hérissons écrasés sur la route, on ne peut qu'applaudir David BYRNE, dont le talent ne s'est jamais évaporé, semble-t-il.

[1] : je parle bien entendu des albums des Talking Heads sortis entre 1978 et 1980, plus le gouleyant My Life in the Bush of Ghosts (1981)