L'adoubement d'Arne NORDHEIM en pionnier de la musique électronique, très récent, n'intervient en réalité qu'au crépuscule de sa carrière. Le compositeur norvégien était alors surtout connu pour ses nombreuses œuvres de musique contemporaine, dont certaines lui valurent une reconnaissance internationale dès le début des années 60. En revanche, ses recherches en matière d'électro-acoustique, notamment réalisées au Studio Expérimental de la Radio Polonaise, sont longtemps restées des plus confidentielles. Une première compilation, parue en 1988 chez Aurora, passa même inaperçue. Ce n'est que dix ans plus tard, avec la sortie du remarquable Electric chez Rune Grammofon, que la Norvège commence à redécouvrir les premiers travaux de son résident d'honneur (1). Au même moment, le royaume assiste à la naissance d'une nouvelle génération d'artistes, tout particulièrement bien au fait des œuvres d'APHEX TWIN ou de Brian ENO. Un nouveau style, celui de l'ambient, vient alors de gagner le Grand Nord. Sous-genre de la musique électronique aux contours parfois flous, il aurait aussi sis à merveille aux expérimentations visionnaires d'Arne NORDHEIM.

Quoi de plus normal que de voir le petit monde de l'ambient norvégien s'enthousiasmer devant la sortie d'Electric ? Certains s'en emparent même immédiatement et Nordheim Transformed sort en septembre, toujours chez Rune Grammofon, fruit d'une première collaboration entre Geir JENSSEN (BIOSPHERE) et Helge STEN (DEATHPROD). Plus qu'un simple remix, cet album offre une relecture de la précédente compilation. L'idée n'est pas de réinterpréter mais bien de 'transformer NORDHEIM', d'où le titre. Electric est alors partagé entre nos deux camarades, revisitant chacun de leur côté, trois ou quatre pistes différentes et les accommodant à leurs sauces.

Pour autant, Nordheim Transformed se révèle formidablement homogène et l'alternance entre les deux musiciens est quasiment invisible. Les plus connaisseurs accorderont à BIOSPHERE une vision très organique de ses arrangements, face aux tons plus arides de son compatriote. L'héritage du vieil Arne est cependant rigoureusement respecté : une musique minimaliste, polymorphe et particulièrement froide (2).

Toutefois, si les expérimentations du vieux compositeur restaient avant tout très abstraites, cet album-ci se montre au contraire des plus évocateurs. Les images défilent lentement devant nos yeux. Nordheim Transformed est une plongée dans les abysses, désert hostile et glacial où la vie est pourtant née. BIOSPHERE explore les monts hydrothermales, sanctuaires engloutis de crabes aveugles et de vers géants. Surgissant de la nuit, quelques organismes bioluminescents repartent après une tournée d'inspection. DEATHPROD préfère quant à lui rôder en plaine. Abyssale évidemment, dans le noir absolu où nous frôlent cachalots et calmars en chasse. Au loin, le plancher océanique tremble, les plaques se chevauchent et engendrent de nouveaux fumeurs noires, bientôt colonisés dans le calme d'une nature enfin apaisée.

Parfait appendice à l'Electric d'Arne NORDHEIM, ce disque contentera également les novices du genre et des discographies, il est vrai moins aisées, de Geir JENSSEN et Helge STEN. Les plus inexpérimentés en matière d'ambient apprécieront par ailleurs nettement plus les boucles sereines du premier que les sonorités arctiques et vertigineuses du second. En définitif, DEATHPROD est le plus proche des deux du maître osloïte et demandera sans doute quelques efforts supplémentaires. Rien d'insurmontable néanmoins. Il serait aussi dommage d'avoir peur de ce petit trésor, toujours aussi fascinant malgré ses vingt ans d'âge.

(1) Arne NORDHEIM fut de 1982 à sa mort résident d'honneur du gouvernement norvégien. Il logeait donc à Grotten, non loin du palais royal à Oslo.
(2) Comme le disait si justement l'ami Tarte dans sa chronique d'Electric.