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2018 Cusp

Alela DIANE - Cusp (2018)
Par AIGLE BLANC le 11 Août 2018          Consultée 1041 fois

Le nouvel opus d'Alela DIANE, paru en février 2018, son cinquième depuis 2007, et qui traverse en 11 chansons le thème de la maternité, constitue en soi une petite révolution, du moins un acte de résistance bienvenu. Quoi, vous vois-je bondir de votre fauteuil, la maternité... un sujet de rébellion ?! J'en imagine certains qui ricanent déjà sous cape : mais qu'arrive-t-il à aigle blanc, serait-il atteint de sénilité précoce?

Vous n'êtes pas sans ignorer que la maternité est un sujet de friction dans le monde professionnel et que si vous avez la malchance d'être une femme encore en âge de procréer, il est préférable lors d'un entretien d'embauche de passer sous silence votre désir d'enfant, voire de mentir si la question vous est frontalement posée par le recruteur. Surtout n'avouez jamais votre projet de maternité qui met à mal les fondations du système capitaliste préoccupé jusqu'à l'angoisse par le rendement à travers lequel il cherche à nier la notion de "vide". Le temps c'est de l'argent, adage bien connu à notre époque noyée dans la course au profit.
Qui peut nier le caractère ultra-libéral de l'industrie musicale? Il n'y a qu'à observer la position de la femme au sein de cette industrie pour se rendre compte qu'elle n'est pas plus enviable que celle de sa consoeur dans l'industrie cinématographique. Dans le monde du spectacle et du divertissement, les femmes artistes subissent la loi patriarcale qui exige d'elles la jeunesse et le glamour. Il n'est qu'à voir la ribambelle de chanteuses, de MADONNA à LADY GAGA en passant par RIHANNA qui ont dû exhiber leurs corps ultra-sexué vendu comme une marchandise à seule fin de faire se pâmer le mâle en rut. Pensez-vous que MADONNA, dont le statut d'artiste aujourd'hui ne prête plus à caution, serait parvenue à cette noble reconnaissance si elle n'avait pas joué le rôle de la provocatrice dans lequel l'industrie du show-biz enferme les femmes?

Dans l'économie musicale, l'amour non plus n'échappe pas à la loi du marché. Que ce soit dans le champ de la variété ou du rock, et même du hard rock, les chansons qui décrivent le sentiment amoureux, avec ses joies et ses crises, ont le vent en poupe du côté des grosses maisons de disque. L'amour fait vendre, et même les rockeurs qui le chantent comme un plaisir coupable finissent plus ou moins par se rallier à sa cause. Mais qu'en est-il de la maternité? Pourquoi reste-t-elle un sujet tabou pour l'artiste qui voudrait en témoigner dans ses chansons? Il est possible que la clé de ce mystère réside dans le fait que la maternité contrairement à l'amour et au sexe, n'est pas cotée en bourse. C'est donc un domaine qui échappe au mâle dominant. Alela DIANE à travers son dernier album voudrait aider les femmes qui écrivent et composent comme elle à reconquérir un espace qui leur est refusé par l'industrie du disque, laquelle admet difficilement qu'une mère trentenaire puisse poursuivre en parallèle une carrière musicale. Comme si la maternité en signant la mort de la créativité faisait déchoir irrémédiablement celle qui se pique de songwriting.

Alela DIANE s'inscrit dans la lignée des néo-folkeuses américaines nées durant les années 80, comme ses consoeurs californiennes les gothiques Marissa NADLER et Emily Jane WHITE passionnément chroniquées au sein de Forces Parallèles, mais elle délivre un folk peut-être plus classique et moins tourmenté que ces dernières, plus proche de Joan BAEZ ou de Joni MITCHELL.
Une fois n'est pas coutume, ses nouvelles chansons ont été composées à partir du piano, et non de la guitare. A l'origine de ce changement d'option, la chanteuse relate un simple accident domestique qui lui a valu de se casser l'ongle du pouce, ce qui rendait alors fort pénible son jeu de guitare en picking. L'approche musicale différente qu'implique le piano dans le processus de composition suffit-elle à justifier la beauté singulière de Cusp? A moins que la maternité, sujet central de l'album, par l'expérience profonde qu'elle constitue, n'ait agi sur l'art d'Alela DIANE comme un filtre révélateur. Toujours est-il qu'elle nous livre avec Cusp son offrande la plus dépouillée et la plus lumineuse où ses qualités habituelles de songwriter se trouvent transcendées comme jamais.
Les chansons sont nées d'un séjour qu'a passé Alela à Caldera, dans l'Oregon, en janvier 2016, trois semaines au cours desquelles, seule et en fin de grossesse, elle a vécu dans une résidence d'artiste au coeur de bois enneigés. Depuis la naissance deux ans plus tôt de sa première fille Vera, c'était la première fois que, reconnectée à sa créativité, elle se remettait à écrire de nouvelles chansons. Et c'est ce retour à sa fibre artistique, après deux années de maternité pure, qu'elle a recueilli sur les touches du piano qui reposait à demeure dans la loge résidentielle. L'image que projette sur notre écran intérieur l'expérience solitaire vécue par Alela, dans ce havre de paix et de créativité lové au coeur d'une forêt toute de blanc flocons drapée, nous permet d'effleurer l'atmosphère qui présidait à l'écriture de l'album et dont chaque chanson porte le silencieux et magique héritage.
Cusp ne relève pas de ces albums créés à la va-vite et visant l'addiction instantanée, au succès aussi foudroyant que leur date de péremption. Cusp ne s'avale pas non plus comme une boisson énergisante à l'effet dévastateur éphémère. C'est au contraire un espace intime que l'on doit laisser infuser pour en libérer les saveurs secrètes et subtiles. Dénué du moindre racolage et de la plus fine once de mièvrerie, c'est un disque qui nous cueille en douceur, sans effort, et dont la fragilité assumée, reflet de l'humilité acquise par l'artiste depuis sa première grossesse, nous renvoie à notre humanité, à ce que nous gardons de plus précieux en nous, notre ultime rempart au cynisme qui nous guette partout.
La ligne thématique évoluant autour de la maternité, tout ici naît de cette expérience intime et transcendante qui s'impose d'elle-même et cimente naturellement les onze titres de l'opus, dans une démarche plus instinctive qu'intellectuelle. Alela DIANE n'a pas son égale pour traduire avec finesse une expérience aussi mystérieuse qui la relie intrinsèquement à la dimension temporelle. Ses chansons peuvent prendre la forme d'une métaphore, comme dans "The Treshold" où l'artiste se décrit comme au croisement de deux pièces blanches dont l'une la projette vers son passé (les diverses maisons qu'elle a habitées, la fin d'un premier amour) et l'autre vers l'avenir où elle s'imagine entourée de ses deux filles, interrogeant son second mari sur l'importance qu'aurait à ses yeux l'âge de son épouse. On retrouve cette alternance entre le passé et le futur dans "Wild Ceaseless Song" quand elle relate ses réflexions durant sa grossesse, avant et après la naissance de sa fille. La maternité la confronte aussi au manque et à la culpabilité lors d'un voyage en avion accompli pour les besoins d'une tournée promotionnelle qui l'avait obligée à laisser sa fille à la maison, expérience que dépeint avec force et poésie "L'albatros". La maternité rétablit aussi le lien entre les générations, ce dont témoigne "Never Easy" : à travers la naissance de sa première fille Vera et l'amour infini qu'elle lui voue, Alela mesure enfin à son tour la force insoupçonnée de l'amour qui avait dû, dès sa naissance jadis, frapper sa propre mère, amour dont la chanteuse se reproche d'avoir douté.
"Ether & Wood" renferme la clé du titre mystérieux de l'album. Durant sa seconde grossesse, Alela a souvent pensé à sa vie antérieure, celle d'avant la maternité, ce qui lui a fait prendre conscience des choses qu'elle a laissées derrière elle, comme on se débarrasse inconsciemment de nos peaux mortes. Lui est alors apparu comme une évidence le rapport inextricable entre la mort et la naissance, lesquelles se rejoignent inévitablement à "leur point secret de jonction", expression qui pourrait traduire le "Cusp" du titre : "la pointe d'intersection". Les complications liées à la naissance de Oona, sa seconde fille, accouchement ayant failli entraîner la mort d'Alela DIANE, ont fourni au titre et à la jeune mère, a posteriori, une justification supplémentaire.
D'aucuns pourraient reprocher à Cusp sa monotone unité stylistique qui lui dicte les notes éparses d'un piano minimaliste et que soulèvent parfois, dans un lyrisme feutré, des cordes recueillies et une flûte caressant le souffle vital de l'amour maternel. Les mélodies de voix requièrent le temps nécessaire à leur apprivoisement, mais une fois pris dans leur nacelle, seule s'impose la beauté simple et irradiante de la maternité que la chanson "So Tired" emmène jusqu'aux confins de l'émotion pure.

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   AIGLE BLANC

 
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- Alela Diane (chant, piano, guitare acoustique)
- Heather Woods Broderick (choeurs, flûte)
- Jason Burger (batterie, percussion)
- Daniel Hunt (batterie, percussion)
- Rob Burger (piano)
- Mirabai Peart (violon, alto)
- Peter Broderick (violons)
- Anna Fritz (violoncelle)
- Luke Ydstie (basse upright)
- Peter M. Murray (guitare électrique, guitare acoustique, mellotron,)
- Selah Broderick (flûte)
- Dave Jorgensen (trompette)


1. Albatros
2. Threshold
3. Moves Us Blind
4. Emigré
5. Never Easy
6. Song For Sandy
7. Buoyant
8. Ether & Wood
9. Yellow Gold
10. So Tired
11. Wild Ceaseless Song



             



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