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WEST SIDE BLUES   |  LIVE

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OTIS RUSH - Blues Interaction: Live In Japan 1986 (1994)
Par LE KINGBEE le 22 Octobre 2018          Consultée 1171 fois

Précurseur de ce qu’on va appeler le West Side Blues, Otis RUSH n’était pas réputé pour ses qualités de boute en train. Disparu des écrans radars depuis de longues années, le guitariste avait eu droit à quelques lignes en 2003 dans la presse spécialisée lorsqu’il avait été victime d’un grave AVC le laissant fortement handicapé. Le calvaire de cette icône de Chicago a pris fin le 29 septembre 2018. Otis RUSH avait 84 ans.

Originaire de Philadelphia, une sympathique bourgade du Mississippi (c’est là que furent assassinés en 1964 trois militants des Droits Civiques, fait divers ayant inspiré le film « Mississippi Burning »), Otis quitte sa région si accueillante pour s’installer avec sa famille à Chicago alors qu’il a tout juste 15 ans. Pour l’adolescent, le changement est rude : du champ de coton, sans oublier le risque de se faire traîner sur la route attaché à la calandre d’une caisse, pratique en vogue qui fait la joie des sympathisants du K.K.K, Otis fait la découverte des ghetto et du travail à la chaîne dans les usines sordides de la Windy City et travaille quelques temps dans un abattoir. C’est par la musique qu’il parvient à s’évader de cet univers impitoyable.
S’il a commencé par étudier l’harmonica dès six ans, il bifurque rapidement vers la guitare en apprenant en autodidacte via la gratte d’un frère aîné. Cet apprentissage s’avère prépondérant sur son jeu de guitare. En effet, Otis est gaucher et joue sur une guitare pour droitier, tenant ainsi sa guitare à l’envers, sans modification d’accordage, ce qui lui vaudra bien des années plus tard d’être le dépositaire d’un son si particulier, voguant entre le tortueux et le dépressif acéré.
Si l’une de ses sœurs lui a fait découvrir Muddy WATERS lors d’un concert, l’adolescent absorbe brièvement le jeu de B.B. KING avant de s’émanciper vers un phrasé plus personnel, souvent posé en mode mineur, un jeu à son image : triste, introverti, dépressif et fort pessimiste. Bref, on ne se roule pas parterre en écoutant Otis RUSH et on sort encore moins les confettis. Pour synthétiser, RUSH est l’antithèse de notre bon Patrick Topaloff ou du duo américain Homer & Jethro.

Repéré par Willie DIXON dans une taverne du West Side où il se produit, le guitariste commet son premier succès dès son premier enregistrement avec « I Can’t Quit you Baby » mis en boîte en juillet 56 au Boulevard Studio du label Cobra. Accompagné pour l’occasion par Dixon à la contrebasse, Walter Horton à l’harmonica et Lafayette Leake, Otis RUSH enregistre ce jour-là l’un des fleurons du West Side Sound, un titre qui ouvrira les portes à de nombreux groupes européens (SAVOY BROWN, John MAYALL, LED ZEPPELIN et bien plus tard NINE BELOW ZERO). Auteur de neuf singles, gravés entre 1956 et 1958 pour la firme Cobra, Otis RUSH sert de session man pour Lee Jackson ; Harold Burrage, Buddy GUY et Charles Clark et bien sûr Willie DIXON. L’aventure aurait pu continuer si Eli Toscano, patron de Cobra Records, ne s’était pas fait refroidir par la Mafia.
Otis rebondit chez Chess Records, suivant pour ainsi dire les pas de DIXON et enchaîne chez Duke. Instigateur du West Side Blues en compagnie de Magic SAM et de Buddy GUY, Otis RUSH, guitariste renfermé, certainement dépressif, connaît ensuite une longue période de vache maigre, malgré une apparition remarquée à l’American Folk Blues Festival 66. En 1969, il resurgit tel un diable avec l’album « Mourning in the Morning » édité par Cotillion et mis en boîte dans les studios FAME à Muscle Shoals et produits avec la bénédiction de Mike BLOOMFIELD et Nick GRAVENITES.

Impulsif, instable et à vrai dire mal dans sa peau, Otis RUSH grave une poignée de disques sans grand intérêt, et prend la fâcheuse habitude de bâcler ses concerts. En 1974, alors qu’il est malade au bord de la dépression, il enregistre à Paris dans les studios Barclay l’intéressant « Screamin’ & Cryin’ » édité par le label français Black & Blue, disque où il est épaule de Jimmy Dawkins. En 1982, on le retrouve au meilleur de sa forme lors d’un Live enregistré au Nancy Jazz Pulsations 1977 avec un disque qui paraît cinq ans plus tard grâce aux efforts du label français Isabel Records. La suite est faite de haut et de bas, avec des tournées imprévisibles lorgnant entre le médiocre et la quintessence selon la forme et l’envie du bonhomme.
Déçu par le milieu du Blues et en conflit avec plusieurs maisons de disques, c’est au Pays du Soleil Levant qu’Otis donne ses meilleures prestations. Amoureux du Japon dont il épouse une ressortissante, c’est de là que proviennent ses meilleurs disques en public. Pour ce qui est de ses disques studio, « Ain’t Enough Comin’In » gravé en 1994 à Burbank en Californie et « Any Place I’m Going » en 1998 à Memphis avec Leroy Hodges peuvent être considérés comme de bons disques. Ironiquement, ce dernier jet lui vaut d’être récompensé d’un Grammy Award l’année suivante.

En 2016, alors qu’il ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant depuis des lustres, sa ville d’adoption Chicago l’invite à recevoir un trophée honorifique à l’occasion du Chicago Blues Festival, une récompense tardive qu’il reçoit avec le plus grand plaisir en compagnie de sa famille. Otis RUSH est décédé chez lui à Big Bear Lake (Californie), là où il s’était établi avec son épouse Masaki avant sa maladie.

« Live In Japan 1986 » n'est publié qu’en 1993 par le label japonais P Vine Records. Il faut attendre un an pour que le CD ne devienne plus accessible que via Sequel, une petite maison de disques anglaise qui tombe plus tard dans l’escarcelle de Sanctuary. Eh oui, en musique c’est un peu comme dans la vie, les petits sont souvent mangés par les gros.

Tiré d’un concert se déroulant le 12 décembre 1986 au Kudanaikan de Tokyo, « Live In Japan » reçoit une volée de bois vert de la part de la critique anglo-saxonne, lors de sa sortie. Nos amis anglais ont la mémoire un peu courte, ils oublient un peu vite que certains titres d’Otis RUSH firent la gloire de nombreuses formations de la Perfide Albion. Perfide ? Vous avez dit perfide ? Les américains via Capitol, une firme ayant presque réussi à noyer le guitariste, suivent le mouvement comme on dit.
Alors qu’en est-il exactement de ce Live, facilement décrié ? Si on se met dans la tête que la période Cobra, voire les trois ou quatre années qui suivirent sont révolues à jamais et que plus jamais Otis RUSH ne pourra s’appuyer sur la qualité des arrangements de Dixon, ni sur une équipe d’accompagnateurs hors pairs, on se dit que ce Live n’est pas si mauvais que ça, bien au contraire.
Le guitariste est ici épaulé par Break Down, un quatuor japonais agrémenté de trois invités pour la venue de l’homme au chapeau. Ce groupe spécialisé en backing avait déjà enregistré deux disques avant la venue de l’ancienne icône du West Side et ne peut être considéré comme le premier perdreau de l’année. Le seul reproche qu’on pourrait tenir à ce genre d’ensemble, c’est qu’il a appris le Blues sur disques ou lors de stage de perfectionnement et non pas sur les rives du Delta, dans les cités de l’Illinois ou sur les montagnes des Appalaches, mais il en est de même pour tous les musiciens contemporains, qu’ils soient américains, noirs ou blancs. Derrière Break Down, se cache une troupe entièrement dévouée à son leader, le principe même d’un backing band.
Et autant dire qu’en ce 12 décembre, Otis RUSH est en pleine forme et dans de bonnes dispositions.
Après une longue introduction fondée essentiellement sur « Tops » et servant à prendre la température et conforter le public nippon, RUSH enchaîne avec un « All Your Love » mitonné aux petits oignons, agrémentant son morceau de quelques glissandos à la Jody Williams. En fait, si le morceau ne vaut pas l’original enregistré en 58 en compagnie d’Ike TURNER et du pianiste Little Brother Montgomery, avouons qu’on a entendu bien pire (Gary MOORE, Steve MILLER). Contrairement à certaines idées reçues qui laissent supposer que RUSH est incapable de sortir du registre West Side, sinon pour faire de la daube, le bonhomme nous délivre une version convaincante et tout en douceur du « Please, Please, Please », gros carton de James BROWN. Le chant s’annonce volontaire et communicatif nappé par un sax foudroyant de sobriété et d’un orgue rappelant Rhoda Scott.
Peu de titres ont autant collé à la peau d’Howlin’ Wolf que le puissant « Killing Floor ». Là, le groupe donne l’impression d’avoir tout le poids du monde sur ses épaules. Les deux guitaristes japonais en charge du premier et second solo semblent comme pétrifiés face au Maître, le morceau semble décousu et long, même si la rythmique essaie de garder la cadence. Une version décalée qui rappelle celles de Big Jack Johnson, Smokey Wilson ou Fenton Robinson. Il ne faut pas dix ans pour entendre le public réagir à l’écoute de « Stand By Me », gros carton de Ben E King. Le guitariste nous délivre une version sage, presque smooth, on aurait aimé que l’harmonica s’impose plus durablement par rapport au sax et à l’orgue qui deviennent vite gonflants.
Reprise assez courte de « Lonely Man », titre de Little Milton que le guitariste reprenait dès 1971 sur « Right Place, Wrong Time », un disque qui ne paraît que cinq ans plus tard. Otis semble avoir avalé le plein de vitamines sur cette version Live qui a le mérité de ne pas s’éterniser. Il enchaîne avec l’une de ses dernières réussites de la période Cobra avec « Double Trouble », mais on ne peut s’empêcher de revenir vers l’original qui regroupait entre autres Ike TURNER, le batteur Odie Payne ou Jackie Brenston, et là, nos Japonais, bien que vaillants, se montrent inférieurs à leurs aînés. Cependant, la guitare bien incisive permet de rivaliser avec les versions de CLAPTON, Paul BUTTERFIELD ou Ronnie Earl. « Right Place, Wrong Time », titre phare de l’album du même nom, propose une belle séance de West Side Blues, mais là encore le morceau Live ne vaut pas la version préalable. On ne remplace pas Mark Naftalin d’un simple coup de baguette magique ! La reprise de « Got My Mojo Working » destinée a priori à mettre du punch et à se mettre le public dans la poche ne restera pas dans les annales, le chant d’Otis, malgré ses efforts, ne se prêtant guère à ce genre de farce. Le décalage de sonorité et l’harmoniciste qui ne joue pas avec la bonne tonalité nuisent au titre. La prestation s’achève sur « Gambler’s Blues », composition mineure de B.B. KING. Encore une fois, la version studio figurant sur « Mourning in the Morning » nous semble bien plus groovy, mais il vrai que le Break Down, honorable troupe de backing du Soleil Levant fait pâle figure à côté des petits gars de Muscle Shoals (Jimmy Johnson, Roger Hawkins et Duane ALLMAN).

Si Otis RUSH a enregistré de nombreux Live, cet enregistrement se situe dans la moyenne. Le guitariste semble dans un bon jour, il est juste regrettable que les musiciens nippons se loupent sur trois titres. Néanmoins, ce disque vaut largement certaines productions en public contemporaines dont les maisons de disques ne cessent de dresser des louanges sous prétexte que ça joue vite, technique et fort.

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   LE KINGBEE

 
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- Otis Rush (chant, guitare)
- Yoichiro Hatta (guitare)
- Fusanosuke Kondo (guitare)
- Kenji Morita (basse)
- Akihiro Okachi (batterie)
- Charles Shimizu (orgue, piano)
- Chikashi Takagi (saxophone)
- Weeping Harp Senoh (harmonica)


1. Introduction/tops
2. All Your Love
3. Please, Please, Please
4. Killing Floor
5. Stand By Me
6. Lonely Man
7. Double Trouble
8. Right Place, Wrong Time
9. Got My Mojo Working
10. Gambler's Blues (encore)



             



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