Attention, grosse, très grosse madeleine de Proust. Pour les mi-quarantenaires en tous cas. Qui parmi vous a connu la collection "Raconte-moi une histoire" ?

Bon, si personne n'a défailli en se pâmant de bonheur nostalgique, c'est peut-être que vous êtes trop jeune (ou vieux) pour vous en souvenir. Nous sommes en 1982, et tous les 15 jours, sortait un fascicule contenant des histoires, contes européens, fables, poèmes et chansons, un patchwork diversifié, court ou plus long, seul ou à suivre, traditionnel ou inédit et moderne, allant d'environ 6 ans (petites comptines) à 10/12 ans (contes traditionnels et feuilletons). Le tout illustré, là aussi dans des styles différents, et parfois de façon magnifique. Quel petit garçon n'est pas tombé amoureux de la Princesse au Petit Pois ? Quelle petite fille n'a jamais rêvé d'être Raiponce ?

Ce long préambule pour introduire l'autre moitié de ces sorties bimensuelles : la cassette audio. Absolument idéal pour aider à l'apprentissage ou au perfectionnement de la lecture, ce media alors nouveau et donc hype donna à des dizaines de milliers de gosses la passion du texte. Il faut dire que le casting était grandiose : Evelyne Grandjean, Patrick Préjean, Michel Elias, tous les grands noms du doublage étaient réunis. C'était le rendez-vous du mercredi, le petit magnétophone à côté de soi, le fascicule grand ouvert, et une heure de dépaysement total. C'était magique. Un peu comme Noël.

Et puis justement, en décembre 82, voilà que l'éditeur de Raconte-nous propose un hors-série "Les plus beaux chants de Noël", spécifiant d'ailleurs qu'il ne sortirait "qu'en vinyle pour des raisons de qualité". Intrigance et questionnagitude. Cékoidon ? Des comptines chantées par Gobbolino, Aldo et Tirondin ? Pas du tout, et je pense qu'une majorité d'enfants furent déçus par ce disque. Bien trop austère, y compris dans le livret revenant sur les origines des chants et de Noël à travers l'Europe. Bien trop classique. Très peu de dynamiSME (pas de dynamique, attention). Et oui, à la première écoute, quand on a 8/9 ans, ce disque est vite oublié. Mais une fois adulte ?

Eh bien une fois adulte, nos préoccupations étant généralement différentes, on (re)découvre un disque fantastique. Il ne s'agit effectivement pas de chanSONS de Noël, pas de pop star à la mode chantant "je veux turgescer Santa Claus", pas de danse qui soit chantable (Goya), mais bel et bien des chants, traditionnels ou signés, liturgiques ou pas (mais en majorité), et allant de PRAETORIUS à BERLIOZ en passant par MENDELSSOHN, sans compter un bon tiers appartenant au folklore anonyme remontant au XIVème siècle ! Pour que ces oeuvres soient respectées, il fallait bien entendu des interprètes d'exception, et qui dit performance haut de gamme dit maison de disque respectable. Or à l'époque, deux mastodontes se tirent la bourre côté musique classique : Decca et Deutsche Grammophon. Grand coup de bluff pour cette compilation : les deux labels ont collaboré, en rajoutant quelques Philips au passage, et si officiellement Decca est le principal éditeur, nous avons ici un best-of nativiste réalisé en bonne intelligence.

La musique proposée est-elle festive ? Oui, tout en gardant un côté recueillement très prononcé. La nativité Christique étant omniprésente dans les oeuvres présentées, nous sommes ici plus proches de la musique d'église qu'autre chose, avec une majorité de titres choraux, pour ne pas dire tous, parfois agrémentés d'un orgue (modèle chapelle ou basilique, au choix), et parfois d'un orchestre, assez peu souvent, mais toujours massif. On comprend que les petits n'enfants se soient vite ennuyés. Rien que le premier titre, très bel exercice de "build-up", a de quoi rebuter si vous écoutez LORIE ou BENNY B. Nous sommes soit dans le très doux, soit dans le contrapuntique rigide, soit dans le très massif mais orchestral et en anglais, voire en latin.

Mais la force de ce disque, et c'est là la grande surprise et le but de cette chronique (NDLR : Ah, enfin !), c'est que des chants de Noël, ça s'écoute à Noël. Et là, l'ambiance est garantie dès la première phrase chorale jusqu'à l'ultime accord triomphant made in Felix BARTHOLDY, en passant par le parfum de crèche de "In Dulci Jubilo", la douceur de l'étoile polaire sur "Stille Nacht" (curieusement bien plus doux en Allemand) ou les cloches de village, carillonnant à tue-tête sur l'excellent "Es Ist Ein Ros". Ecouter ce disque, c'est être inexorablement plongé dans l'esprit de Noël, le simple, le pur, pas celui qui te rappelle que tu peux payer la licorne qui fait caca en 4 fois sans frais hormis ouverture du dossier aggios bancaires et accompte de résiliation.

Fermez les yeux et vous y êtes. "God Rest Ye Merry Gentlemen" ? Vous êtes en train de chanter sur le perron d'une vieille à chats qui a des problèmes de fauteuil. "Star Carol" ? On dirait Keith EMERSON écrivant une comédie musicale de Broadway, et pourtant c'est un chant traditionnel ! "Ding Dong" et "We Wish You a Merry Christmas" ? Les trompettes vous rappelleront que "there was much rejoicing" (au menu ce soir : ménestrels de Sire Robin sauce gribiche). La musique vous incite au partage, au silence, à l'hiver, aux cadeaux, à la famille, bref, cette compilation porte bien son nom : certes la jolie Mariah CAREY ne vient pas se trémousser en Mère Noël (dommage), certes Tino ROSSI n'y fait pas un duo avec Rick PARFITT, mais ce sont presque tous (un ou deux titres moindres) des chants intemporels, interprétés avec grâce.

On pourra reprocher un léger manque de variété, mais léger seulement car malgré la longueur du disque, il passe tout seul. Et c'est bien ça, sa force : en famille, et dans cette configuration même avec des jeunes enfants, succès garanti, ça passe tout seul. Un disque incroyablement religieux sans être prosélyte et qui l'espace d'une petite heure élèvera votre âme. Et si vous avez encore faim, n'oubliez pas notre fameuse collection : le fascicule gâtera les plus passionnés d'histoire. Des labels qui collaborent pour le plaisir de l'auditeur, un livret soigné en cadeau : pour un peu, on se croirait à Noël dites donc...

Note finale : 4,5/5