Si on mélange Wind & Wuthering de GENESIS et Moonmadness de CAMEL, on obtient Crafty Hands de HAPPY THE MAN. Non seulement le groupe américain donne un successeur à son premier effort déjà bien solide, mais en plus, le second prend la tête sur l'échelle de la réussite et reste l'un des disques les plus célèbres du courant rock progressif outre Atlantique. Pourtant, à l'époque, le public ne suit pas du tout...

Quelques changements ont été opérés sur ce disque, à commencer par le batteur Mike Beck, remplacé par Ron Riddle. Celui ci co-écrit un titre ("Service With a Smile") avec Greg Hawkes, membre du groupe naissant THE CARS ; le reste est partagé entre Whitaker, Wyatt et Watkins chacun de leur côté, joignant leurs forces pour un seul morceau ("Wind Up Doll Day Wind"). Le disque est en revanche toujours produit par Ken Scott, luxure sonore garantie !

Crafty Hands gomme les quelques défauts de son prédécesseur pour ne fournir que d'excellentes idées. Il mise beaucoup plus sur la paire de claviéristes Watkins/Wyatt, ce dernier ne jouant du saxophone que sur trois titres, et encore, souvent avec davantage de discrétion. Il faut d'ailleurs attendre le quatrième morceau pour que Wyatt en utilise. Whitaker n'en chante qu'un seul cette fois-ci, le fameux "Wind Up Doll Day Wind".

Ce titre réussit sa fusion entre un style d'intro à la GENESIS (flûte, arpèges délicats), un final à la KING CRIMSON (avec un solo bien méchant) et, en retour, des décollages un peu pop qui pourraient avoir influencé Steve HACKETT sur certains titres d'un futur alors très proche, comme "Every Day" ou "The Steppes". Plus loin, "I Forgot to Push It" donne aussi une couleur live à l'opus, un caractère surf music dans la rythmique, le sax et les claps se joignent à la fête...

Et sur "Steaming Pipes" comme "Ibby It Is", HAPPY THE MAN, en bons américains qui font de la musique originale, nous enseignent leur propre science du blues, et c'est génial. En particulier sur "Ibby It Is", qui est un bijou servant de faire valoir au nouveau batteur Riddle. Entre deux parties blues, Watkins balance des thèmes planants, puis la deuxième partie se révèle plus orchestrale et torturée, avec des soli de guitare et de synthé héroïques. Quand construction savante se conjugue à l'inspiration...

Il y a bien sûr d'autres éléments fantastiques, plutôt SF pour le coup ; disons donc merveilleux. Un aspect qui marque moins que sur le premier opus, sans doute car la surprise est moins forte, mais pour le reste alors, quelle beauté ! "Open Book" est un de ces morceaux évolutifs qui commencent par la science des magiciens Wyatt et Watkins, se poursuit en valse et inclue même une partition de guitare acoustique médiévale. Cette richesse peut paraître déroutante sur le papier, mais à l'écoute, c'est un bonheur absolu.

Le joli "Morning Sun" et le plus dynamique "Service With a Smile" ne lésinent pas non plus sur de tels effets, et la sensation de plaisir s'en trouve prolongée jusqu'au final. "The Moon, I Sing" est une mélodie tendre de clavier sur de beaux arrangements aux cordes ARP, parfait pour planer. Avec le recul, ce n'est pas étonnant si Watkins rejoint CAMEL, dont l'album paru l'année suivante est celui qui se rapproche le plus de ces ambiances-là ! Fin de l'histoire pour lui, ou presque, et de façon momentanée, pour le groupe qui se sépare avant d'enregistrer son troisième album.