Une icône du Rockabilly ! Mais je parie que vous êtes à peine trois à connaître cet artiste au moment de lire ces lignes, encore dois-je enlever notre Kingbee de cette liste ! Jody REYNOLDS est né en 1932, trois ans de plus qu'ELVIS donc, originaire de Denver dans le Colorado. Il débute la guitare à l'age de 14 ans, mais ne va débuter sa carrière de chanteur de rock qu'après avoir entendu les premiers pionniers à la radio. Notre garçon a une spécificité ! En effet, il peut être considéré comme le premier « dépressif » de l'histoire de la musique populaire. Ses compositions souvent tristes, voire noirâtres, dégagent des ambiances à l'avenant, ce qui n'est pas fréquent pour l'époque, et plusieurs groupes de dark music le citent régulièrement comme leur parrain. Il est sous contrat avec la maison Demon qui va produire la majorité de ses singles.

Son principal titre de gloire est "Endless Sleep" qui oscille entre "Heartbreak Hotel" d'ELVIS et un "Dark Lonely Street" d'Eddie COCHRAN. C'est roots, simpliste, mais un monde assez sombre surgit devant nous puisque le texte traite de suicide. Ce titre qui fait partie de l'histoire de la musique s'est écoulé à plus d'un million d'exemplaires. Le suivant "Fire Of Love" aura moins de succès mais s'annonce comme un classique de "dark rockabilly" et sera repris par une cohorte de groupes dark tels le MC5 ou le GUN CLUB. Toujours cette ambiance morbide et mortuaire. Le blondinet est pourtant tout mignonnet et à l'opposé de l'âme de ses chansons.

Mais ce sont plutôt les singles suivants qui me semblent les plus méritoires. Je suis ainsi très sensible au chant velouté mais néanmoins torturé de Jody sur la belle "Closin In", un des sommets de cette compile. Dans les titres les plus dark du lot, nous avons aussi "The Storm" avec des effets spéciaux surprenants. La chanson prend magnifiquement et l'aspect smooth crépusculaire fait son effet. "A Tear For Jesse" sonne plus récente dans ces mêmes veine et qualité. "Raven Hair", profondément dépressive et élégante, bénéficie d'un refrain de haute volée. "The Girl From King Marie", composée par Jody REYNOLDS, est à mon sens la chanson la plus réussie. Evidemment, vous ne serez pas sans remarquer qu'on est à l'extrême opposé des trois titres dark précédemment cités, mais les paroles ne sont pas si gaies, lisez-les. L'ambiance proposée par ce titre est cependant d'une innocence qui transcende le temps qui passe. C'est magnifique d'aisance et de mélodie, un chef d'oeuvre des fifties !

Nous avons même plusieurs instrumentaux : "Thunder" annonce clairement l'arrivée prochaine de la surf musique et des grands instrumentistes tels les SURFARIS ou les VENTURES aux USA. Ce morceau intéressant est enrichi d'un énorme saxophone qui souffle le tonnerre comme il se doit ! "Tarantula" est construit sur le même principe, rythme sinueux, sax agressif, ambiance délétère. "Shot Down" est probablement plus classique dans sa conception, mais "Makin Out" introduite dans un souffle sonne comme la B.O d'un film de Tarantino, très symbolique du côté sombre des fifties.

Pas mal de morceaux sont issus de la country ou d'un rockab tendance très Hillibilly. Comme "Caterpillar Crawl". Du Johnny CASH dans le texte avec "Long Black Train", très sympa et western à souhait. "Jeannie Mae" et "Daisy Mae" - deux sœurs ? - sonnent tels les premiers singles d'Elvis chez Sun. "Runaway Heart" tente d'émuler "His Latest Flame", avec un refrain mémorable. "All Washed Up" est incontestablement plus moderne que le reste, avec une orchestration synthétisée et une guitare twangy qui détonne dans l'ensemble.

Du Doowop mais oui ! "Paper Doll", "Stormy" - que de titres tempétueux ! - lorgnent vers du mainstream à la teenage idol, alors que "Silhouettes" est presque pop. "The Whipping Post" ressemble à certaines compos de Ricky NELSON ou des EVERLY BROS, pas désagréable. "Robbin The Cradle" s'avère la plus réussie dans le genre. Plusieurs slows sirupeux, à l'opposé de ses titres noirs... très curieux ! Nous avons ainsi "Please Remember", "Golden Idol", qui prêtent à sourire aujourd'hui : ça sonne extrêmement kitsch, mais dispense une certaine candeur. Sa version du "Anyway You Want Me" est incomparable avec celle du king Elvis PRESLEY qui en fit un sommet du genre. Ici, la chanson ne prend pas son envol, sans pour autant que son interprête ne démérite.

Des influences tous azimuts : on croirait un titre de belle allure du killer Jerry Lee LEWIS que "Two Of A Kind", très rock avec son piano boogie, tout comme "Downright Evil". En revanche "Beulah Lee", c'est du COCHRAN tout craché, avec la qualité qui va avec ! Enfin, ce disque est une forme de rétrospective de tout ce qu'a pu faire Jody, alors on n'échappe pas aux fillers du lot qui s'intitulent "Devil Girl" et "Come on Twist", toutes deux très sixties. Quant à "Tight Ca^ris" et "Jump Over", elles sont à zaper !

Jody n'a pas sorti un seul album de sa vie, vous ne trouverez donc que des anthologies à sa gloire. Son statut d'icône n'est cependant pas volé et l'artiste se révèle très attachant avec son look de premier de la classe et de gendre idéal. Je le classe pas si loin de COCHRAN pour la facilité de composition et ses talents de musicien. La présence des instrus le prouve, mais sa postérité n'est toutefois pas à la hauteur de celle d'Eddie. Un personnage énigmatique, éloigné des considérations du showbiz puisqu'il va devenir promoteur immobilier rapidement, sa carrière passant alors au second plan. Il n'empêche, il faut le connaître !