AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Il m'a fallu du temps pour me faire une opinion définitive sur The Bridge of Spies (Le Pont des Espions en V.F.). J'y étais entièrement indifférent lors de sa sortie, et il a fallu attendre qu'il passe sur M6 un soir où je n'avais rien de mieux à faire pour que je m'y intéresse. Pourtant, Steven Spielberg a fait pas mal de films qui font parti de mon panthéon personnel -et de celui de beaucoup d'autres personnes-, mais dernièrement sa flamme magique semble s'être éteinte tant ses derniers essais semblent ternes, au moins visuellement parlant avec sa palette de couleurs oscillant entre le gris tristounet et le gris déprimant.
Au final, ce thriller qui se veut ambitieux ne restera pas dans les annales mais reste un divertissement tout à fait honorable, merci Tom Hanks. Je fustige l'aspect visuel du film qui est très terne. Offrez-nous un peu de couleurs, merde ! Et tant que j'y suis, je vais aussi m'attaquer à la reconstitution du Berlin d'après-guerre en effets spéciaux : c'est moche. Je sonne peut-être vieux con, mais c'est quand même plus crédible et bien plus agréable à regarder quand c'est reconstitué avec de vrais décors. Sinon, c'est du Spielberg historique pur et dur : beaucoup de sentimentalisme, du patriotisme et une morale écoeurante de mièvrerie. Mais le gars sait filmer, ça c'est sûr. Sur la mise en scène, il n'y a rien à redire, pareil pour le casting cinq étoiles, mention spéciale à Mark Rylance, excellent dans le rôle du prisonnier soviétique protégé par l'avocat Tom Hanks qui devient de plus en plus sympathique les années passant, si cela est possible.

Un point du film reste notable : c'est la première fois depuis La Couleur Pourpre en 1985 que John WILLIAMS ne signe pas la musique d'un film de son comparse. Le compositeur ne rajeunit pas et, entre les derniers Star Wars et la pose d'un pacemaker, il lui a bien fallu prendre un peu de repos. Mais qui pour le remplacer ? Certains évoquent quelques-noms aux dents longues comme Joel MCNELLY, Michael GIACCHINO ou Hans ZIMMER (beuh), mais Williams a lui-même laissé ses baguettes à Thomas NEWMAN pour ce film. Hein, qui ça ? Mais si, vous savez, le fils d'Alfred NEWMAN, le type qui a composé la fanfare de la 20th Century Fox... Ce grand monsieur de l'âge d'or d'Hollywood, qui a composé entre autres pour Charlie CHAPLIN, avait le premier donné sa chance à John WILLIAMS lorsque celui-ci commençait dans le business, et il lui a en retour renvoyé l'ascenseur en laissant son fils Thomas, alors âgé d'une vingtaine d'années, composer quelques passages du Retour du Jedi (lesquels, je ne sais pas, mais selon la rumeur il se serait chargé de mettre en musique la mort de Darth Vader).
Depuis Newman Jr. (cousin du fameux Randy du même nom) s'est fait un nom dans l'industrie en travaillant pour des réalisateurs comme Sam Mendes ou Steven Soderbergh. Néanmoins, la comparaison avec John WILLIAMS n'ira pas plus loin que l'importance qu'ils accordent aux cordes et aux sentiments dans leurs compositions, puisque NEWMAN préfère une musique plus discrète que celle de WILLIAMS.

Il n'empêche que si je n'attendais rien de la musique de ce Pont des Espions, c'est quand même là que j'ai trouvé la bonne surprise qui fait plaisir. Avec un orchestre à sa disposition, il met l'emphase sur les cordes et le piano pour restreindre l'aspect émotionnel de la musique tout le long du film jusqu'au dénouement final où il se laisse aller.
Il crée une dichotomie entre l'URSS et ses choeurs masculins soutenus par des balalaikas (mais si vous connaissez ! Le luth triangulaire typiquement russe !) face à l'Amérique triomphante de percussions et de cuivres. Le thème du pays de l'Oncle Sam est décliné en deux versions : arrogante et narcissique pour illustrer l'aveuglement des officiels, et douce pour en faire le thème de Ray Donovan, héros stoïque typique du cinéma américain, qui ne renie jamais ses idéaux même face à la foule. Ces deux thèmes offrent une confrontation intéressante sur “Glienicke Bride”, morceau qui offre avec les suivants “Homecoming” et “End Titles” une suite musicale où le compositeur laisse libre cours à sa sentimentalité sans que cela ne desserve le reste.
Thomas NEWMAN n'oublie pas de s'amuser en sortant un peu des sentiers battus, comme avec “Lt. Francis Gary Powers”, passage dissonant pour aborder les tortures infligées par les officiers allemands au pilote américain capturé. Sans compter quelques moments d'action tendue (“Ejection Protocol”, “The Article”, “West Berlin”) où les percussions métalliques et le piano tressautant donnent un sentiment d'urgence adapté face à d'autres moments de tension de jeu du chat et de la souris entre les deux camps qui se traduit avec une couleur jazzy assez agréable.

Ceux ayant déjà écouté une B.O. de Thomas NEWMAN ne seront pas surpris ici. Mais est-ce vraiment une mauvaise chose pour un musicien d'utiliser les mêmes recettes tant qu'il le fait bien ? Et en l'occurrence, il ne déçoit pas, réussissant face aux gros sabots de Spielberg à tisser une musique calme, restreinte, habillant sur mesure les protagonistes et l'action. Sans atteindre les hauteurs de John WILLIAMS, cette collaboration porte des promesses intéressantes si elle devait se poursuivre à l'avenir.