On l'a connu flamboyant et virevoltant sur les claviers féériques de RAINBOW, on l'a connu minutieux programmeur de séquences percutantes pour lui et ses copains, mais depuis quelques années, Tony CAREY est avant tout un rescapé. Un homme qui, comme bien d'autres, a été diminué par le cancer, ce foutu crabe à qui il a réussi in extremis à imposer une prise de catch renversant la situation. Tony CAREY est vivant. Et il a fait cet album pour le dire, le crier, le hurler, le... non, juste le dire. Le notifier. Sobrement. Parce qu'il a pris conscience de ce qu'il a déjà donné et de ce qu'il a failli perdre.

Cet album est uniforme. Très doux, très sobre, jamais un mot plus haut que l'autre, peu de chichis (ici une très belle trompette, là un synthétiseur planant, des cordes synthétiques très connotées qui, loin d'être cheap, font toute l'identité du morceau). Une voix cassée, brisée, et pas que physiquement, mais là, et bien là. Pas de batterie, pas de rythme, un album folk tout ce qu'il y a de plus sincère et presque bare-bones, dans la lignée d'un Ray COOPER. Mais ce lissage de son et de style ne rend pas le disque plat, et c'est bien là sa force : on ne s'ennuie pas.

Sûrement parce que les émotions transmises sont carrément plus fortes que toute tentative de décortiquage de style. Le propos est souvent simple, voire évident ("Hallelujah" pleine d'espoir, la très belle et bouleversante "Lucky Us") : Tony aime sa carrière, sa femme, la vie. Et le dit au travers de mélodies simples, parfois un peu trop ("I Never Go", "I Knew a Man" un peu trop roublarde), mais qui font souvent mouche. Style uniforme ne signifie pas répétitivité et CAREY arrondit son interprétation au gré des thèmes et d'un piano doux, proche, intimiste. Jusqu'à une "chanson de bonne nuit", une berceuse magnifiquement délicate qui ressemble beaucoup à celles de David KNOPFLER mais, c'est là le plus étonnant, pas à celles de l'album que nos deux musiciens ont enregistré en commun.

L'album n'est pas parfait comme on l'aurait aimé, il se contente de flotter sur un petit nuage sans atteindre les stratosphères, mais on sent que son enregistrement est aussi vital pour Tony qu'il est agréable pour nos oreilles. Il faut cependant mettre l'accent sur "Hawkeye Road", titre d'ouverture qui monte la barre peut-être un peu trop haut : nostalgique, poignante et extrêmement honnête, cette ballade est magnifique, et vaut à elle seule l'écoute. C'est un de ces albums où l'on a l'impression d'être assis à côté de l'artiste, dans un coin du studio, à boire un whisky coke en l'écoutant se confier en pleurant, et nous autres auditeurs sommes de réconfortantes épaules soyeuses et fiables. Lucky Us n'est peut-être pas le meilleur album de l'année, mais c'est sans conteste un des plus authentiques. Ca fait du bien. Et ça donne envie de bouffer des accras à base de chair de crabe ébouillanté vivant.

Note finale : 3,5 / 5 évidemment monté à 4 pour le courage de se mettre ainsi à nu