Sarala remonte à 1995. Planqué derrière la figure tutélaire d’Hank JONES, Cheick Tidiane SECK sortait de l’ombre, mais à moitié seulement. Cette fois-ci est la bonne ! 8 ans après et pour son cinquantième anniversaire, le guerrier* malien se décide enfin à publier un disque sous son nom seul, lui qui mérite pourtant depuis longtemps une reconnaissance publique de son très grand talent.

Mandingroove, mot-valise à la fois réducteur – ce n’est pas "que" de la musique mandingue – et juste – ça groove à mort de bout en bout –, est composé de titres enregistrés entre 1999 et 2003, de Paris à New-York et Los Angeles. L’album pourrait sonner comme une compilation disparate, il brille au contraire par son unité. Il faut dire que les morceaux ont été longuement éprouvés sur scène par un groupe de musiciens qui suit Cheick Tidiane depuis longtemps. Eh oui, ce dernier est non seulement un compositeur émérite, un arrangeur hors-pair, un excellent chanteur, organiste et pianiste, mais c’est également un rassembleur, fédérant autour de lui toute une bande de fines gâchettes capables de le suivre pour jouer aussi bien dans un club que sur une grande scène, pourvu que le groove soit là. Et avec Cheick Tidiane, il est TOUJOURS là, qu’il improvise, joue ses propres compositions ou arrange des chants traditionnels.

Aisément reconnaissable, sa musique est mouvante, chaloupée. Dansante, elle se construit peu à peu, les musiciens entrant souvent un à un, en commençant par les claviers et le combo batterie/percussions/basse, pour ajouter ensuite de multiples couches d’harmonie les unes sur les autres, montrant combien SECK est un remarquable arrangeur : les instruments se superposent sans que le discours musical devienne confus. Il en ressort des morceaux d’une richesse incroyable, se renouvelant sans cesse, leur équilibre provenant justement du mouvement qu’ils créent, ainsi que du bouillon de culture que forment ces musiciens.
Car c’est également un des traits saillants de ce Mandingroove, ce brassage des genres et des gens, ce goût de la fusion des styles et des hommes. Chez Cheick Tidiane, on croise certes le balafon ou le ngoni de la musique mandingue, mais on a aussi du rap, des cuivres jazz ou funk ou un berimbau, sans que jamais ce mélange paraisse artificiel, juste évident.
Tous ces morceaux partagent en fait une constante, une vibration particulière qui élève chacun d’eux en musique pour l’âme comme pour le plaisir. On pense à la soul pour l’interprétation, mais la musique, elle, vient d’ailleurs, racée et portant haut la suprême élégance de masquer sa complexité derrière un groove imparable. Il faut écouter le pont rythmique de "M’Baoudi" ou de "Le Blues des oubliés" pour saisir l’incroyable précision attendue par Cheick Tidiane. On dirait du Steve COLEMAN organique et chaleureux, à des lieues de tout calcul mathématique.

Quant aux claviers de notre guerrier, ils sont sans surprise parmi les plus chaleureux, Hammond et Rhodes en tête, mais pas que. Lui qui, à sa sortie, reprochait à l'album Sarala d'être trop propre à son goût, a trouvé le son qui lui convient. Et s’il s’octroie de vrais soli, il est parfois presqu’agressif, quelque part entre Bernie WORRELL et Jimi HENDRIX. C’est du lourd et c’est du bon.

Cheick Tidiane SECK est un très grand musicien. S’il fallait le comparer à un autre Africain, c’est Fela KUTI que l’on invoquerait. Leurs musiques diffèrent bien sûr. N’en déplaise aux thuriféraires de la République de Kalakuta, celle de SECK est sans doute plus subtile. Mais les deux hommes partagent le fait d’avoir véritablement fusionné des musiques de leurs pays d’origine respectifs avec ce qu’il est convenu d’appeler des musiques noires "occidentales", notamment la soul et le funk, ramenant ainsi vers l’Afrique un morceau de son incroyable héritage musical. Ajoutons que les musiques de ces deux-là sont reconnaissables immédiatement, ce qui reste la marque des grands, grands dont Cheick-Tidiane SECK fait indéniablement partie, même s’il n’a pas encore atteint à la reconnaissance qu’il mérite.

*Cheick Tidiane SECK appelle "Guerriers" tous les gens qu’il croise. Le surnom lui est revenu.