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2002 L'Enfer Tiède

PROGRAMME - L'enfer Tiède (2002)
Par K-ZEN le 3 Novembre 2020          Consultée 875 fois

L’article le définissant entièrement est peut-être l’unique boursouflure qui le caractérise, si on oblitère sa durée légèrement minimaliste.

Sur sa devanture, la géhenne se matérialise par un brouillard s’échappant d’un égout. Ou plutôt un geyser s’élevant de ces bâtiments rouillés et chromés, à 75 degrés. La Défense ? Oui, mais laquelle ? Celle au sein de laquelle déambulent les insomnies nocturnes d’Alphonse Tram, à la recherche d’une oreille réconfortante puis de son couteau anormalement égaré ? Dans la diagonale transverse, les escalators continuent leur balai nocturne inutile. Une horloge égrène des secondes. Pendant ce temps, la ville campe sur sa misanthropie.

BURZUM, DIAPSIQUIR, EYEHATEGOD. DARKSPACE, PAYSAGE d’HIVER ? Pourquoi pas. Les grands frères spirituels sont maquillés ou pas, dans la neige ou la forêt, jouant du clairon sur la colline d’en face ou au faux caïd dans les bas-fonds, la seringue se balançant encore au bout de leurs veines. Vous connaissez ce rêve que l’on fait tous au moins une fois dans une année, cette impression de tomber dans le vide, sans corde, une dose d’adrénaline inconsciente. La glace est brisée par cette chute vertigineuse, dans un gouffre béant. "Jusqu'ici tout va bien". On se range à la citation d’Hubert, un des héros de La Haine. L’atterrissage c’est cette phrase répétée à l’infini, fendant ce pseudo calme, comme un réveil en sursaut.

"On a raison de faire ce qu’on fait, de penser ce qu’on pense, d’être ce qu’on est, de continuer dans le même sens". L’ironie est palpable, l’accent toulousain d’Arnaud MICHNIAK prononcé. Derrière lui, Pascal BÉTOUS, métamorphosé en araignée géante de la Forêt Noire, tisse une toile monumentale en guise de cadre. Le virus se propage, les voix se dédoublent. "Ça ne sert à rien d’essayer de comprendre les autres". La sentence est définitive, l’appel est fait dans la salle. "La jalousie ? Présent". Les bruits inhumains résonnent. "La rue continue droit devant, à perte de vue, droit devant, jusqu'à ce qu’il n’y ait plus que la rue". C’est vertigineux. C’est flippant. Contre l’immobilisme, rien ne change. Au cœur de la crise d’épilepsie, la ville grossit comme un champignon. La voilà déjà qui s’escamote dans un coin de rétroviseur.

Logique, en assemblant les intitulés de cette ouverture, "Il Y A", et celle de la fermeture "Et La Ville Disparaît", on pourrait presque faire une phrase complète, à la manière du jeu des surréalistes. Les cadavres sont exquis et s’emboîtent, s’opposent, s’attirent tels des aimants.

"Et La Ville Disparaît", cet imposant titre final prend la forme d’une épopée urbaine et nocturne, non percussive. Abstraite, elle rejoint le groupe des poèmes ambitieux et expérimentaux du siècle. Les caractéristiques pratiques sont identiques. Les durées, les intitulés. Remarquables. "L’Europe" de NOIR DESIR, "Demain C’est Loin" d’IAM, "Il n’y a plus rien" de Léo FERRÉ. La filiation avec le dernier nommé est flagrante, inévitable. "Les experts recousent les mots". Dans le songe de MICHNIAK, les cheveux électrisés de FERRÉ et son Préface : "On ne prend les mots qu’avec des gants". Les vapeurs de saxophone se métamorphosent en chaos, matérialisé par une cacophonie de vents épouvantable, au-dessus de laquelle notre chanteur tente d’exister. Il scande, revendique, crache, interpelle. "Ils ont fait ce qu’ils ont pu". Le capitalisme se fait tout petit. Au bout de l’anaphore finale interrogative, ne reste qu’un terrain vague, où les mauvaises herbes ont élu domicile. Une négation, le nihilisme ultime. "Quelle ville ?" Une autoroute, c’est comment au bout en fait ? Ça ne se finit jamais, non ? Les dernières notes de saxophone résonnent avant que l’aire de repos ne s’impose.

Entre les absences, il y a ce qui ressemble le plus à des chansons. Des potentiels produits-tubes malgré leur aigreur. Le noise rock de "N’importe quoi pour n’importe qui" et sa basse énorme, le riff et le refrain de "Entre Deux Feux", la contrebasse du maussade et pluvieux "Cette Page D’Histoire", qui enterre l’amour et la société, chimères, illusions. Règnent la nostalgie et la résignation. "On n’aura pas de descendance".

Finalement, le puzzle trouve son ultime pièce. Il y a quand même "Une Vie" dans ce tohu-bohu, elle se dresse à la manière d’un monolithe. Une note de piano martelée à l’infini, un groupe nominal brandi comme un étendard, pour essayer de "trouver le calme". Un choc. La guitare est là, l’électricité statique, rampante. Les violons sursautent. Un morceau dingue, bruitiste, industriel, incandescent. Un feu follet cherchant la sortie, ou la clé pour quitter sa cellule, son "enfer tiède". Après les anaphores, au tour des oxymores de se mettre en jachère. Tout cela n’est pas un putain de jeu à gratter.

Qu’est-ce que c’est finalement L’Enfer Tiède ?

Yoshihidé, le peintre du Paravent des Figures Infernales, se l’est vu matérialiser devant ses paupières à la fois incrédules et avides, invoqué au nom de l’authenticité de son art. Au même instant, le Seigneur de Horikawa pensait à cette petite phrase qu’il avait entendue à la radio la veille dans "Le Sort". "La seule chose qui promet, c’est de continuer jusqu'au bout". Comme un fil rouge, à l’embrasement des cheveux de la jeune fille de Yoshihidé, il ne daignera détourner le regard, impitoyable. De son côté, une fois l’incendie éteint et immortalisé, notre peintre troquera son pinceau pour la corde.

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- Arnaud Michniak (chant, textes, musique)
- Damien Bétous (musique, programmation)


1. Il Y A
2. Une Vie
3. N'importe Quoi Pour N'importe Qui
4. C'est Bien
5. Cette Page D'histoire
6. Entre Deux Feux
7. Le Sort
8. Et La Ville Disparaît



             



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