Quand on écoute un groupe pour la première fois, on a, tapi au fond de soi, l’espoir secret d’entendre un truc vraiment nouveau, un truc qui nous emportera sur des terrains sonores dont on ignorait l’existence, fracassant au passage nos idées reçues sur la musique en faisant choir d’un coup l’édifice de nos admirations. J’exagère ? Sans doute, mais il y a tout de même un peu de ça.
Cela arrive peu souvent bien sûr, et plus le temps passe, plus les chances de faire une découverte de cette sorte s’amenuisent. Non que les groupes d’aujourd’hui soient plus mauvais que ceux d’avant, mais on a tendance à les classer toujours plus rapidement dans le grand fourre-tout du déjà-entendu.

La petite musique de l’originalité, on l’a pourtant immédiatement perçue sur Odyssées, de LOTUS TITAN. Le groupe est jeune, mais constitué par des artistes au parcours déjà solide. Est-ce cette expérience qui leur permet d’attaquer aussi haut et fort ? C'est possible. Ajoutons-y un certain courage, celui d’emprunter un chemin d’autant plus difficile qu’il les éloigne irrémédiablement d’une large reconnaissance. Car LOTUS TITAN, selon le groupe lui-même, c’est du "rock libre" et de la poésie. Oui, vous avez bien lu, de la poésie, c’est-à-dire l’utilisation d’un format également libre, et très éloigné de celui de la chanson.

Les textes sont puissants, très imagés, et d’autant plus percutants qu’ils sont elliptiques, rappelant par moments le FERRE de l’époque du "Chien", ou le BASHUNG de l’ère Jean Fauque*. Il y a un fossé entre les deux ? Certes, mais c’est justement là que se trouve LOTUS TITAN, entre la colère vibrante de l’un et les formules décalées du deuxième, à l’instar de ce "Mon ombre sur le fil / N’a que peu d’envergure". L’ensemble est d’autant plus réussi que Julie Castel Jordy interprète ses textes d’une façon volontiers fiévreuse, tendance viscérale, et qu’elle parvient ainsi à vous vous empoigner et vous secouer avec force, soutenue par un groupe à son image : puissant.

Le groupe, parlons-en. Côté sonorités, on y trouve une batterie, une guitare, des synthétiseurs et un Thérémine, une trompette. On entend une espèce de math-rock virant au métal, mais qui ne dédaignerait ni l’électro, ni le côté planant de PINK FLOYD**.
Les titres sont savamment écrits et arrangés, alignant différentes séquences les unes derrière les autres, parvenant ainsi à maintenir l’intérêt de l’auditeur même lorsque les morceaux sont très longs.
Le groupe, quant à lui, est franchement très bon. Saluons Dimitri Kogane, à la batterie, dont la dextérité fait merveille tout au long du disque, mais qui s’avère particulièrement inventif tout au long de "Jeterrible", formidable morceau*** démarrant comme un ébouriffant duo voix/batterie avant d’aller s’abîmer dans la fournaise métal concoctée par Gérald Gimenez à la guitare – il est également le compositeur du groupe – et William Laudinat aux claviers.

Et alors Baron, tout est parfait, te voilà convaincu par ce nouveau groupe ? En vérité, ami lecteur, je ne mets qu’un bémol à mon quasi panégyrique : le diptyque formé par "rendez-vous" et "Déjà-vu" me semble moins convaincant. Une question de langue, sans doute : plus explicite, le texte paraît moins puissant que sur les autres titres. Mais c’est là pinailler, et cette remarque ne doit pas masquer l’évidence : Odyssées est un excellent premier album d’un jeune groupe particulièrement brillant, et dont on ne peut que recommander chaudement l’écoute.


*C’est-à-dire grosso modo d’Osez Joséphine à L’Imprudence. Les chefs-d’œuvre, quoi !
**Difficile de ne pas penser à David GILMOUR en écoutant « Silence ».
***Le travail d’enregistrement d’Arthur Ower, cité comme un quasi 5ème membre du groupe, est également à saluer, sur ce morceau entre autres.