On pourrait essayer de défendre cet album en tentant de le valoriser par rapport aux exercices de quelques-uns de ses contemporains. Des produits souvent formatés, "nrjisés", "obispophylisés" ou je n'sais quoi... Ce serait facile, gratuit, futile mais surtout, ce ne serait pas lui rendre service. Car "L'autre bout du monde", premier album (après le 6 titres "La folie en tête" paru en 2005) d’Emily Loizeau, n'a finalement besoin que d'une paire d'oreilles attentives pour se faire apprécier.

Derrière des mélodies plutôt légères, de prime abord, se cache une galette parfois sombre ("Sur la route", "L'autre bout du monde", "Comment dire", ou le très beau "L'âge d'or" signé Abel K1) faisant la part belle à l'enfance et à la mort (le disque est dédié au père de la jeune franco-britannique aujourd’hui disparu). « Je voulais arriver à parler de la mort comme un enfant peut en parler », explique-t-elle en précisant que l’un de ses buts était de pouvoir évoquer un sujet dramatique sur un support aussi simple qu’une comptine, à l’image du travail d’un Lewis Carroll.
Le tout forme un délicieux mélange aigre-doux teinté d'humour (et parfois un brin coquin – "Boby chéri") qui fonctionne à merveille : "Je ne sais pas choisir", "Voilà pourquoi" où l'on retrouve les gars de Tryo et l'irrésistible "Jasseron" dans lequel Franck Monnet (co-réalisateur de l’album) vient donner la réplique dans une histoire de véritable cadeau empoisonné – un homme offre à sa belle une concession dans le cimetière d’un patelin situé près de Bourg-en-Bresse pour célébrer leur amour).
D’autres invités viennent apporter leur collaboration. De Sarah Murcia qui signe quelques parties de contrebasse (sur "L'âge d'or" et "Comment dire") à Andrew Bird (voix sur "London town", chœurs et violon), en passant par Neal Casal, tous viennent contribuer à donner à ce disque parsemé d’interludes ("Madame la lune", "Je veux te sauver", "Il n’y a plus rien à faire"), une atmosphère bien particulière où dominent néanmoins le piano et surtout la voix de la miss. Car cette dernière constitue l’une des forces d’un opus quasi parfait. Qu’elle se fasse suave ("L'âge d'or", "Leaving you", "L'autre bout du monde") ou polissonne ("Boby chéri", "Je ne sais pas choisir", "Je suis jalouse") elle sert de manière toujours juste un ensemble de belles (au sens noble du terme) chansons. Autre point fort : le rythme de l’album est tel que les pistes se succèdent sans le moindre temps mort. Ici, le swing cède le pas aux climats plus intimistes avant de reprendre le dessus tandis que le charme opère comme une bonne liqueur vient vous réchauffer l’œsophage tout doucement.

La bio d'Emily, première signature française du label Fargo, mentionne des influences aussi diverses que Tom Waits (avec qui elle rêve de faire un duo), Bob Dylan (dont elle reprend "To make you feel my love" sur scène), Randy Newman, Bobby Lapointe ou encore Michel Legrand. On peut volontiers y ajouter les Beatles, que ce soit version McCartney circa "Let it be" ("I'm alive") ou version Lennon (le sublime "Leaving you"). Et si d’aucuns la rapprochent volontiers d’un Thomas Fersen, son style se situe bel et bien à la croisée des influences précitées. Bref, si un joli petit voyage onirique d'une quarantaine de minutes vous tente, offrez-vous ce premier coup de maître en guise de bande originale.