Ralph GEAN est un de ces drôles d’oiseaux découverts par un non moins drôle de hasard à la fin du siècle dernier. Je fouinais exceptionnellement (parce que je ne suis pas Français et encore moins Parisien) dans la célèbre FNAC des Champs-Elysées en vue de découvrir un célèbre bruitiste catégorisé facho dont je tairai prudemment l’identité bien qu’il soit à l’origine de cette compilation, lorsque, voyant apparaître son nom en jaune fluo sous fond rose, je me dis en vérité ceci : Achète ce disque. Et le très jeune homme que j’étais alors acheta le disque.

C’est ainsi que je fis la connaissance de Ralph GEAN, à défaut de celle de Boyd RICE (partie remise). Et ce fut une bien singulière rencontre car de la musique dite 'Country', je ne connaissais quasiment rien. Je n’en connais certes pas beaucoup plus aujourd’hui (exception faite de l’incontournable Johnny CASH, quand même !), mais grâce à ce Texan passionné et obstiné, je peux dire que j’en connais plus que je ne l’aurais espéré. Et surtout, je le connais lui, Ralph GEAN, cette étoile filante scandaleusement passée inaperçue, ce lumineux et bien allumé scarabée de la culture populaire américaine.

Né en 1942 à Port Arhur (Texas), la carrière de cet attachant personnage commence au début des années 60, où il joue avec des célébrités comme Glen CAMPBELL ou Roy ORBISON et enregistre ses premiers singles. Mais le tsunami des BEATLES et cie (la bien nommée 'british invasion') relègue ses rêves de gloire au vestiaire. La précarité le pousse à jouer dans les rues de Salt Lake City ou à enchaîner des jobs fort éloignés de sa passion originelle. De plus, se revendiquant polygame, sa vie sentimentale est on ne peut plus mouvementée, voire chaotique.
Il faut attendre les années 90 pour que, par l’entremise d’un certain Shannon Dickey, le nom de Ralph GEAN refasse surface et, il était temps, que cela aboutisse à la création de cette compilation sortie en 1997, seul album officiel.*

Cette compile démarre de plus bon pied franc avec le décalé et enthousiasmant "Homicidal Me" qui semble enregistré d’une traîte, sans souci de polissage et autres commerciales maniaqueries qui ont plus contribué à l’abaissement de la musique qu’à son élévation. Et tout le joyeux cabinet de curiosités que représente ce voyage entre l’Amérique des sixties et celle de John Bobbit, est à l’avenant, c'est-à-dire toujours bien emmené par une chaude voix de baryton et énergiquement soutenue par l’indispensable guitare.

"Electricity", sorte d’hommage à BEEFHEART, est une petite pépite aussi endiablée que rassurante – rassurante parce que chaleureusement paternelle.
"Planet f The Rain", moment d’amour tout scintillant avec l’une de ses épouses favorites, Donna M. DONOHOO.
"Hard To Be A Killer" donne dans une sorte de big rock assez convenu mais qui sert surtout de prétexte à notre ami pour nous conter les déboires d’un apprenti tueur qui, au bout du rouleau, finit par conclure : Maybe college is a place for me.
"Goddess of Love", en hommage à Xena La Guerrière, est tellement enlevée, tellement Elvis sans les contraintes qui pesaient sur le King, tellement libre qu’il est difficile de ne pas l’aimer sur le champ. Aujourd’hui encore, j’en tremble de joie.
Et que dire de la très profondément kitsch et si touchante en même temps "Experimental Love" ? Ceci, à savoir qu’il s’agit là du premier (et presque malheureusement aussi du dernier) hit de Ralph GEAN, sorti en 1962.

Tout est puant de vérité ici. Ainsi, quand vous entendez "Guitar Pickin’ Teabag", vous n’entendez pas seulement une chanson à la guitare sèche enregistrée sur radiocassette, mais le souffle de la vie, ni plus ni moins. Dans le même registre, mais peut-être pas enregistré sur la même cassette, il y a le traînant et néanmoins entraînant "The Asshole Song", morceau moins cynique et plus humain qu’il n’y paraît.

Ce disque étrange et si familier pourtant transpire le respectable labeur du cowboy jusqu’en son dernier titre, "The What Have Might Been If What Is Hadn’t Happened", où l’artiste nous livre l’histoire de sa vie, de ses déboires et de ses amours, avec l’authenticité qui est littéralement sa marque de fabrique.

A Star Unborn ; jamais une compilation dans toute l’histoire des compilations n’a été aussi tragi-comiquement bien nommée. Une star non identifiée, une étoile noire passée sous les radars de la NASA du disque, un bon vieux balanceur de riffs ultimes perdus dans les bas-fonds de la jungle de l’industrie musicale et dont on doit donc l’exhumation tardive à cette bonne vieille canaille de Boyd RICE qui prouve par là même qu’il n’est pas si canaille qu’on le croit puisqu’il rend ici littéralement hommage à une star injustement, absurdement méconnue.

*L’album a été réédité en 2007 sous un format double et donc agrémenté de tout un tas d’inédits et de versions alternatives.