Attention à la confusion. Kim CARNIE n'est pas Kim CARNES. Entre les deux chanteuses, seulement deux lettres de différence, ainsi que tout un monde musical. D'un côté, une voix au papier de verre forgée dans les rues de Los Angeles. De l'autre, une voix d'ange adoucie par les embruns de la région d'Oban, sur la frange ouest de l'Ecosse. Elue "Chanteuse gaélique de l'année" aux Scottish Trad Awards en 2021, la seconde, encore dans la vingtaine, mène de fronts plusieurs projets musicaux, parmi lesquels des piges remarquées au sein des non moins remarquables groupes STARAN et MANRAN, qui s'évertuent à faire apprécier le folk traditionnel écossais à une nouvelle génération en le triturant, le manipulant, et en osant bousculer ses codes.

La confiance venue, la jeune chanteuse franchit donc ici le pas de la première réalisation en solitaire. Si elle est seule, les cheveux aux vents sur la pochette de son album, son titre "And So We Gather" ainsi que ses conditions d'enregistrement témoignent d'une volonté de partage et de rassemblement. Produit par Donald Shaw, membre du groupe CAPERCAILLE, qui s'occupe également des claviers et de l'accordéon, ce premier album bénéficie de la présence remarquée de nombre d'artistes en vue sur la scène musicale écossaise contemporaine. Entre autres, notons la présence de Julie Fowlis et Karen Matheson, choristes de luxe, ainsi que du pianiste et arrangeur John Lowrie qui, fidèle accompagnateur de Kim CARNIE depuis ses premiers pas, joue un rôle prédominant dans la construction de l'identité musicale de cet album.

And So We Gather, résolument folk, tisse un lien délicat entre une tradition écossaise que l'on croit à tort intouchable, et une modernité se traduisant par l'ajout d'instruments et d'influences qui offrent un décalage bienvenu. Un piano et une guitare acoustique offrent un support suffisant pour apprécier la voix à la fois intime et majestueuse de Kim CARNIE sur "She Moves Me", ballade qui ouvre cet album. Un des rares titres chantés en Anglais, celui-ci trouve ses références du côté de Dougie MaCLEAN, offrant la même délicatesse, la même retenue, et la même universalité.

L'album, sur ces bases, projette ensuite des ambiances contemporaines qui permettent à Kim CARNIE de déployer ses talents d'auteure/compositrice. L'incantatoire "Nighean Sin Thall", agrémenté d'un saxophone aux intonations jazz, offre une dimension nouvelle à la langue gaélique, plus sensuelle et espiègle. Lorsque les cuivres se voient remplacées par des instruments à cordes frottées, comme sur "Murt na Ceapaich", on imagine alors tout de suite RUNRIG et la voix de Donnie Munro, sur ces complaintes souvent agrémentées d'un piano solennel ("Laoidh na h-Oidhche"). Minoritaires, les titres en Anglais sont également les plus minimalistes et accessibles, les mélodies de "After It All" (splendide ballade au piano) ou de "And So We Gather" se faisant obsédantes, ensorcelantes, et projetant des images de landes désolées et de grands espaces au milieu desquels trônent amour, espoir et chaleur humaine. Il y a de la poésie et de la puissance contenue dans la voix de Kim CARNIE, dont en apprécie la confiance autant que l'humilité.

"Chan eil a' Chùis a' Còrdadh Rium" et son violon apportent une touche celtique supplémentaire et un peu de variété au sein de l'album, dont les ambiances peuvent paraître quelque peu redondantes sur la durée. Reste que, par le mélange des genres et de sa voix envoutante, Kim CARNIE offre ici une première réalisation marquée par un intéressant compromis entre tradition et modernité, entre conservatisme et audace. Un début de carrière très prometteur.