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MUSIQUE CONTEMPORAINE  |  STUDIO

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1977 Tabula Rasa
2008 Symphonie No4
2012 Adam's Lament
 

- Style : Henryk Gorecki , Zbigniew Preisner

Arvo PÄRT - Tabula Rasa (1977)
Par TARTE le 29 Mars 2023          Consultée 753 fois

Au mois de Novembre 2022, la chaîne Arte diffusait un film extraordinaire : l’Incroyable Périple de Magellan. Œuvre documentaire monumentale, en 4 parties, qui décrit jour après jour la progressive plongée dans l’inconnu et les tourments d’un équipage, retranscrivant au plus proche l’état d’esprit des marins et de leur audacieux capitaine. Tout le monde connaît Magellan, mais peu s’imaginent le saut fantasmagorique que fut ce voyage ; entre les mutineries, les drames, les hommes laissés pour morts, les autres atteints d’hallucinations dues aux diètes forcées ou au scorbut, la contemplation des côtes décharnées de l’Amérique du Sud, les montagnes désolées, les méandres sans fins et les Terres bordant l’eau glacée du Détroit, constellées des lueurs lointaines et hostiles du Peuple de Feu. Le saut insensé dans le Pacifique, la folie de la faim, le face à face avec l’inconnu et la mort… Et puis cette musique.

Somptueuse, elle accompagne parfaitement le récit invraisemblable du Navigateur. Mais les oreilles attentives ont tout de suite identifié, sur l’un de ses passages les plus troublants, émanant des nappes de violoncelle, de ces teintes désolées imprégnant chaque accord : "Fratres" de Arvo Pärt, dont il reprend le schéma mélodique. Une fois entendu, le rapprochement paraît évident, mais aussi tout à fait pertinent. Profitons-en pour nous replonger dans une période particulière du compositeur et pour nous concentrer sur trois de ses pièces les plus connues, en plus de vous recommander chaudement le visionnage du documentaire sus-cité.

C’est en 1976, avec la création de "Für Alina", qu’Arvo Pärt entre dans ce que l’on peut identifier comme sa troisième période. Après son introduction dans la musique sérielle, son virage vers le plain-chant grégorien, le compositeur travaille sur la symbiose de ces références et influences pour créer le 'tintinnabuli', un style à la croisée des chemins travaillant le matériau le plus minimal : l’accord parfait, des tonalités, des ponctuations sonnant comme des cloches, la résonance de leurs harmoniques. "Für Alina" exploitait ce style nouveau avec un piano, c’est avec les présentes œuvres (ici sélectionnées car elles possèdent des thématiques et des sonorités communes) qu’il l’ouvre aux petits ensembles ainsi qu’au piano préparé, cette fois-ci, avec un certain Keith JARRETT au clavier (!).

Fratres, 'Frères' en Latin, est une pièce dont la particularité est de ne pas avoir d’instruments déterminés, ce qui a donné, au fil du temps, la création de 17 versions différentes. Le morceau se structure sur la base d’un motif, repris en 9 itérations aux variations diverses. Certains attribuent l’influence de Camille Saint-Saens et de son Coucou au fond des Bois dans la paternité du thème principal, et force est de constater que, sur ce point, les deux œuvres se répondent de manière évidente. Les deux versions du disque montrent comment le choix de l’instrumentation et de l’exécution peut transfigurer le discours sans toutefois en changer la nature. Energique et précis pour la première, lancinante et mystérieuse pour la seconde. La force évocatrice réside dans ses accords et ses enchaînements, son langage rythmique aussi.
Fratres est avant tout une œuvre sur le manque. En effet, comme le Cantus, les deux pièces furent écrites suite à la mort de Benjamin BRITTEN, considéré comme l’un des compositeurs anglais les plus importants et dont PÄRT déclare avoir découvert l’univers trop tardivement pour avoir eu le temps de le rencontrer. 'Frères' d’écriture et de sensibilité que le Destin a, à jamais, inexorablement séparés.

Seconde pièce dédiée explicitement à BRITTEN, le Cantus se révèle plus clairement comme un hymne à la mémoire, à la disparition (la cloche qui ouvre l’œuvre ne trompe pas). Ce 'chant' pour instruments à cordes présente un motif descendant, répété et transposé au fur des mesures, jusqu’à un ralentissement, un immobilisme, un point d’orgue sur l’éternité, une fenêtre métaphysique vers l’infini qui se referme au moment du silence. PÄRT reprend le principe de la fugue mais en change les objectifs ; on retrouve bien le sujet, ses interactions avec ses variations produisant le mouvement continu propre à l’exercice, mais le but ici n’est pas de générer des effets kaléidoscopiques à partir du canon, mais plutôt d’atteindre une communion des instruments et de leurs voix, comme s’ils se réunissaient, se recueillaient ensemble.

Le morceau éponyme, Tabula Rasa, composé en 1977, représente à lui seul l’aboutissement du style 'tintinnabuli' et, après son édition par E.C.M., est devenu l’une des pièces maîtresses de PÄRT (du moins, l’une des plus connues). Il présente deux parties distinctes, la première, "Ludus", développe un motif aérien muant et se déployant peu à peu, sur 8 variations, dans un crescendo dramatique ; la seconde, "Silentium" se présente davantage comme une méditation lancinante dédiée au mystère, les nappes rampantes de violons formant un brouillard mystique traversé par les silhouettes des notes du piano préparé. Le langage sous-jacent est un canon de proportion, c’est-à-dire que le sujet est introduit plusieurs fois à différentes cadences ; mode de composition utilisé depuis la Renaissance, confirmant l’ambition du compositeur à créer des passerelles du passé vers le présent. Tabula Rasa est une œuvre contre-intuitive, bien que sa première partie demande une certaine virtuosité aux musiciens (notamment aux violons), c’est la deuxième partie qui demande le plus de concentration ; car pour le compositeur, il ne s’agit pas seulement de jouer la partition, mais surtout d’écouter le silence enrobant les notes et de trouver la manière de les faire sonner. Le silence a une importance primordiale dans la musique du compositeur, en le faisant la matière première de sa musique ; il est donc naturel que son écriture tende vers une conscience parfaite de ses interprètes des sons et de ce qui se trouve autour. A l’image d’un pianiste concertiste changeant son jeu pour s’adapter à l’acoustique ou à l’instrument, "Tabula Rasa" force à s’adapter aux autres musiciens et à composer avec le vide.

Un instant de silence est quelque chose de sacré, si quelqu’un aborde le silence avec amour, cela pourrait donner naissance à la musique et, à ce titre, un compositeur doit souvent attendre que sa musique vienne à lui. C’est de ces interruptions, de ces temps de silence, que naît l'anticipation sublime que j’apprécie tant.

Pierre angulaire de l’œuvre de PÄRT, ce recueil contient la jonction des deux mondes explorés par le compositeur. Il y déploie son style propre et confirme l’exigence de son écriture et sa rigueur d’exécution.
Si vous vous interrogez sur la note (déjà excellente) donnée dans cette chronique, c’est simplement car votre humble serviteur considère d’autres pièces d’Arvo PÄRT comme supérieures, mais ça, ça sera un autre jour.

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- Arvo Pärt (composition)
- Keith Jarrett (piano)
- Alfred Schnittke (piano préparé)
- Gidon Kremer (violon)
- Tatiana Grindenko (violon)
- The 12 Cellists Of The Berlin Philharmon (violoncelles)
- Dennis Russell Davies (direction)
- Staatsorchester Stuttgart
- Saulius Sondeckis (direction)
- Lithuanian Chamber Orchestra


1. Fratres
2. Cantus In Memory Of Benjamin Britten
3. Fratres
4. Tabula Rasa



             



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