AVERTISSEMENT : cette chronique de bande originale de film est également susceptible de contenir des révélations sur le film

Hozan YAMAMOTO (山本 邦山) (1937-2014) est un compositeur et flûtiste japonais extrêmement reconnu dans son pays puisqu'il a reçu le titre de "trésor national vivant" par le gouvernement japonais en 2002. Son instrument de prédilection est la flûte en bambou (ou shakuhachi) et il a composé un nombre important d'albums, seul ou en collaboration avec d'autres artistes japonais ou internationaux.

悪魔が来りて笛を吹く (ou en phonétique Akuma Ga Kitarite Fue Wo Fuku) est la BO d'un film du même nom paru en 1979 et tiré d'un roman de Seishi Yokomizo, qui met en scène son fameux détective : Kosuke Kindaichi. On peut traduire le titre comme suit : le diable vient et joue de sa flûte (on retrouve dans la phrase le kanji 笛 qui signifie 'flûte' (et se prononce fué) - Akuma Ga Kitarite pouvant être traduit par "le diable vient").

Hozan Yamamoto a été invité à composer la bande originale directement par le producteur du film, Haruki Kadokawa, lequel a également engagé le claviériste et producteur Yu Imai comme producteur adjoint sur le projet, raison pour laquelle cette BO est mise au crédit de Yamamoto mais aussi de Imai. Et c'est le flûtiste Yasukazu Uemura (植村泰一) qui prendra en charge cet instrument sur la BO.

S'attaquer à la BO d'un film que l'on a pas vu * qui reprend l'histoire d'un livre que l'on a pas lu peut relever de la gageure. Mais cette BO est une nouvelle fois la preuve qu'on peut aisément apprécier la musique sans son support visuel. On dira juste que l'histoire mise en musique est celle d'une enquête sur une succession de meurtres, dans une ambiance surnaturelle, et que bien évidemment la musique et la flûte vont y jouer un rôle prépondérant.

La flûte justement, c'est elle qui introduit l'œuvre et qui présente le thème "笛鳴りぬ". Certains diront qu'ils reconnaissent là des sons et des mélodies qu'ils ont pu entendre dans des dessins animés japonais comme ceux, célèbres, du studio Ghibli, que ce soit à la flûte ou au violon; ce n'est pas faux mais cette BO remonte tout de même à 1978... Il faut noter que le thème est très joli, quoique empreint d'une certaine tristesse.

Mais dès le second titre "火焔太鼓", l'ambiance se tend, la flûte alterne moments angoissants et virevoltants et se superpose à une batterie en mode boîte à rythme. On est clairement là dans une musique de film noir ou policier étrange mais il ne faut pas se leurrer, la musique de film américain ou de gialli italiens n'est jamais loin. Pour ceux qui en douteraient le funky "黄金のフルート" viendra leur rappeler la ressemblance avec les films noirs ou gialli occidentaux. Et plus encore, le seul titre chanté "旅ゆく者よ", aurait pu figurer dans un film italien s'il n'était chanté en Japonais; ce mariage de musique à l'italienne et de chant en Japonais est d'ailleurs bien ficelé, à un point tel qu'on se croirait presque dans un film de FULCI avec une musique composée par le maître Ennio Morricone. Très réussi ! On aura même droit à l'intervention de l'harmonica "a=X, b=X, ∴ a=b" qui est employé comme un instrument de jazz à part entière. Un peu surprenant dans un film japonais mais cela ne détonne qu'aux premières écoutes.

Le thème repris au piano "椿子爵の遺言" est d'une grande délicatesse et on saluera au passage la profondeur du son de l'enregistrement (notamment perceptible dans les cymbales), qui est irréprochable, digne d'une production jazz ECM; c'est assez bluffant pour un disque remontant à 1978, le label Mr BONGO ne se moque clairement pas de nous. Et les cordes qui viennent soutenir l'ensemble par moments n'occultent en rien le piano ou les percussions.

Ceux qui apprécient le jazz, et le piano notamment, seront servis car cet instrument est très présent ("指", "a=X, b=X, ∴ a=b"). De son côté, la musique orchestrale de "血と砂", où prédominent violons et violoncelles, est terriblement angoissante et réussie. Dans le final "悪魔笛を吹きて終る" la flûte, spectrale, s'éclipse, portée par un vent puissant.

Akuma Ga Kitarite Fue Wo Fuku est vraiment une belle BO. Le film qu'elle accompagne semble avoir disparu de la circulation et il n'en reste que sa musique, preuve que celle-ci devait être bien plus marquante que son support visuel. Mais à qui peut s'adresser une telle œuvre dans nos contrées ? Qui prendra un peu de son temps pour la découvrir et l'apprécier ? Encore une fois, les chineurs musicaux qui auront la chance de la rencontrer, ceux qui parcourent les contrées musicales, proches et éloignées, afin de découvrir toujours de nouvelles choses. Que la chance soit avec eux !


* et qu'il ne semble pas possible de voir (seule une version portée à l'écran du roman, pour la TV en 2018, sous-titrée en Anglais, est disponible sur YT)

Note :

Afin de conserver la présentation d'origine du disque les titres sont présentés en Japonais; toutefois leur phonétique en alphabet roman est reprise ci-dessous :

1. Fuenarinu / 笛鳴りぬ
2. Kaendaiko / 火焔太鼓
3. Tsubakishishaku no yuigon / 椿子爵の遺言
4. Tengindoujiken / 天銀堂事件
5. Kindaichikousuke nishie yuku / 金田一耕助西へ行く
6. Ougonno Furuuto (Flute) / 黄金のフルート
7. Yubi / 指
8. a=x, b=x a=b /
9. Chi to suna / 血と砂
10. Tabiyukumonoyo / 旅ゆく者よ
11. Akuma fuewo fukite owaru / 悪魔笛を吹きて終る

Le titre de l'album a été repris en phonétique et non en Japonais pour des raisons de compatibilité de certains caractères qui ne sont pas reconnus. On se réfèrera également pour cette raison aux titres des morceaux repris ci-dessus.