Si tu trouves dans la vie humaine un bien qui vaille mieux que la justice, la vérité, la tempérance, le courage et, en un mot, qu’une pensée qui se contente d’elle-même, toutes les fois qu’elle te donne d’agir conformément à la droite raison, et qui se montre satisfaite de son destin dans tout ce que le sort, sans qu’elle ait pu choisir, lui assigne en partage ; si, dis-je, tu vois un bien supérieur, tourne-toi vers lui de toute ton âme et jouis de ce suprême bien que tu découvres.

Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, LIVRE III, VI (extrait)

Meditations est un hommage à l’empereur romain Marc Aurèle, philosophe stoïcien et écrivain. Les quatre titres de cet album sont issus du Livre III de son ouvrage Pensées pour moi-même dont le passage de référence a été reproduit ci-dessus. A moins d’être doté d’un pouvoir de clairvoyance remarquable, il sera bien difficile de discerner ces quatre vertus dans la musique proposée, mais ce sont bien elles qui ont servi de fil conducteur pour cette œuvre.

Le prolifique Jason Köhnen (alias Bong-Ra) navigue depuis bien longtemps sur les mers obscures et après de nombreuses années passées à écumer les récifs de la musique électronique (jungle, dubstep, breakcore, drum n bass…) revient, dans le sillage du précédent Antediluvian (2018), succomber aux sirènes du doom metal. Le compositeur et multi-instrumentiste hollandais présente le nouveau Bong-Ra comme une ‘doom machine’ dans laquelle l’utilisation de la basse, appuyée par le free-jazz, est prédominante.

On ne va pas se mentir, beaucoup abandonneront sur le chemin de ces Meditations. C’est un chemin ardu, peu praticable, semé d’embûches, comme celui de trouver ces quatre vertus. On parle là de ceux qui tenteront l’aventure ; parce qu’à la lecture des flèches directionnelles ‘doom’ et ‘free jazz’ nombreux sont ceux qui y ont de toute façon renoncé. Meditations est une proposition de musique cérébrale, voilà comment il faut l’aborder. Cérébrale et spirituelle. Nous sommes ici si loin de la musique commerciale, si loin de toutes ses immondices musicales superficielles qu’elle nous déverse par tombereaux entiers… nous explorons un autre univers qui est son opposé.

A défaut de trouver la droite raison dans ces méditations, on pourra gagner autre chose tout au long de ces 37 minutes. Des traversées d’époques et de paysages lointains. Peut-être approchera-t-on aussi de plus près l’esprit des mystiques. Cette réflexion vient assez vite à l’esprit ; puis on apprend qu’elle est sans doute corroborée par les centres d’intérêts de Bong-Ra. Le mystère des pyramides et des anciennes civilisations semble en être un. Si on laisse divaguer notre imagination au-delà de l’ombre des immenses pyramides on se laissera emporter Dans l’abîme du temps ou par le Prisonnier des Pharaons de l’auteur originaire de Providence. Civilisations disparues ou oubliées, dieux anciens, malédictions et mystères…

La distorsion de la basse est impressionnante. Chargée d’électricité, elle déborde de testostérone, règne en maître et laisse sa trace tout au long du chemin. La batterie, qui est notre porteur pour cette expédition, est un compagnon par trop lesté et lent. Les effets de violon, et bien entendu l’oud, la guitare aussi, imposent le paysage que nous traversons, celui des pyramides et des sables brûlés par le soleil. Des voix d’outre-tombe semblent émerger des tombeaux hantés et humides et nous mettent en garde. Soleil brûlant et vieilles pierres où sont tapis les esprits d’anciennes divinités. Le saxophone élève nos regards vers le ciel, très probablement vers la constellation d’Orion. Ses cris nous imprègnent de son psychédélisme sous le ciel étoilé ; la nuit le mystère s’épaissit...

Il serait particulièrement dommage de s’arrêter à cette impression de bloc monolithique d’une première ou seconde écoutes. Certaines musiques nécessitent un investissement pour être comprises et interprétées. Le free-jazz dont il est question est abordable, il ne rebute pas car il n’est ni excessif ni omniprésent. Reste la lourdeur du doom, cette musique qui traîne son sac de malédictions comme un sac chargé de rochers. Ceux qui n’en sont pas friands passeront leur chemin. En revanche, ceux qui ont déjà traversé les territoires du post-rock et du post-metal, et en sont ressortis vivants, doivent tenter l’aventure. Ils trouveront dans ces Meditations un bien beau voyage qui prendra probablement toute sa dimension au moment où les étoiles se lèvent.