Très intéressant personnage que Laurent DE WILDE, Français né aux USA, ancien élève de Normale Sup section philo, pianiste de jazz émérite et compositeur à la tête de 18 albums en tant que leader ou co-leader. Il est également écrivain à ses heures, auteur notamment d’une biographie de référence sur Thelonius MONK et d’un fort remarqué Les Fous Du Son sur l’histoire des musiques électroniques. Désireux de partager sa passion, il intervient en outre comme animateur radio et TV d’émissions sur le Jazz et comme producteur. Tout au long de sa belle carrière, Laurent De Wilde a en outre été honoré et récompensé sous bien des formes (Prix Django Reinhardt, chevalier des arts et des lettres, victoire de la musique etc).

En Octobre 2021, juste après la crise du COVID, et alors qu’il commençait à élaborer son nouvel album, il est victime d’un accident de moto qui lui coûtera plusieurs mois d’immobilisation et aura une forte influence sur la teneur de son opus, intitulé Life Is A Movie.

Inspiré par le côté imprévisible de l’existence doublé de son caractère inexorable, Laurent de WILDE, accompagné par le contrebassiste Jérôme Regard et le batteur Donald Kontomanou, nous offre un voyage en neuf titres, brillamment composés et interprétés dans le format archi-classique du trio acoustique qui permet à chaque instrument de se mettre joliment en valeur. On y retrouve les influences majeures du pianiste, Bill Evans, Herbie Hancock, Bud Powell en tête (et Monk bien entendu même si l’intéressé affirme que ce n’est pas possible de tenter d’approcher son style). J’entends parfois au fil des sillons des réminiscences également de Dave Brubeck, et Michel Petrucciani, mais la culture musicale du bonhomme est tellement vaste que j’en oublie probablement beaucoup. La présentation de l’album le 6 Juin dernier lors d’un concert très chaleureux au New Morning nous éclaire par ailleurs sur le feeling et la signification de chaque titre.

Tout démarre dans la sérénité avec "La Vague" dont le joli thème, parfaitement soutenu par la contrebasse et un subtil jeu de cymbales, évoque le mouvement des vagues et marées, parabole de l’existence avec ses hauts et bas. "Back On The Beat" apporte un peu plus de groove, et dévoile un magnifique thème, brillant et profond comme je les aime, qui vient célébrer le retour du musicien à la mobilité. On peut penser que "Get Up And Dance" relève du même principe, ce titre ayant été inspiré à Laurent De Wilde par ses collaborations avec Abd Al Malik, on y retrouve en effet des rythmes et sonorité sud-américaines et africaines. "Liane et Banian" nous emmène à Bali auprès de remarquables arbres dont les racines abritent l’âme des ancêtres. C’est une belle mélodie intime qui se déploie au fil d’un remarquable travail d’accompagnement par la batterie notamment, et qui abrite de très jolies improvisations de piano. "Inner Roads" décrit les chemins et pensées intimes de l’homme tenu de se replier sur des voyages intérieurs. On y trouve de nouveau une belle osmose entre nos trois interprètes, la contrebasse proposant un socle harmonique lent et profond, propice à l’épanouissement des harmonies et mélodies du piano, et au beau travail sur les sonorités de la batterie.

"Easy Come Easy Go" évoque le caractère éphémère de ce qui est facilement conquis ; après une très technique intro à la batterie (remarquablement étirée sur scène), le morceau développe un joli thème sur un rythme rapide, chaloupé et gorgé de swing, alterné avec des passages plus lents et très mélodieux. Cette pièce est une des belles réussites de l’album. Le morceau titre "Life Is A Movie", joliment introduit à la contrebasse, repose sur une mélodie profonde et lente qui se déploie progressivement et met parfaitement en valeur le jeu du trio dans un bel équilibre des rôles. "Les paradis perdus" est un titre très surprenant, une superbe mélodie jouée par un instrument si étrange que j’ai cru la première fois entendre un Koto Japonais ou équivalent. L’astuce révélée par Laurent De Wilde est l’utilisation de Patafix collée sur les cordes du piano qui leur donne ce son rond et légèrement dissonant, pour un résultat magnifique et imprévu, évocateur pour le compositeur de la beauté et la simplicité perdue des instruments primitifs. Il reste "Mes Insomnuits", poème musical écrit et récité par Laurent DE WILDE dans une jolie ambiance de swing nocturne évocatrice de ses mois compliqués post accident.

La promesse est donc tenue : proposer un bel album de Jazz, traditionnel mais non exempt de modernité, gorgé de superbes musiques, variées et oniriques fort brillamment interprétées par d’excellents musiciens. Que demander de plus ?