En 1975, Pat METHENY, âgé à l’époque de 22 ans, s’émancipe de la tutelle un peu étouffante de son mentor Gary Burton, pour lancer une carrière qui s’écrira désormais sous son propre nom. Le célèbre label ECM, à l’affût de nouveaux talents, lui fait confiance pour ce premier enregistrement en tant que leader. Pat choisit pour l’accompagner le batteur Bob Moses (un de ses professeurs au Berklee Collège de Boston où il est lui-même enseignant), et un bassiste prometteur rencontré à Miami, Jaco Pastorius (qui enregistrera l’année suivante son premier disque avec WEATHER REPORT et deviendra une légende).

Ce format du trio est généralement le plus exigeant pour un soliste, mais Pat relève le gant avec classe tout au long de cet album exceptionnel. Il pose, au fil des 8 pistes, les bases de ce que sera sa carrière, en tant que compositeur (7 des titres sont les siens) comme en tant que guitariste, avec le son clair, fluide et lyrique qui le caractérisera dès lors.

La musique jouée par le trio est d’une parfaite limpidité, peaufinée depuis des mois dans les clubs des environs de Boston. Dès le morceau-titre, nous sommes immergés dans un univers beau et serein, avec un thème splendide et inoubliable joué par Pat qui happe l’auditeur dès ses 7 (fameuses) premières notes. Jaco tire de sa basse fretless les sons qui seront sa marque de fabrique, notamment ses fameuses doubles notes vibrées, et offre à Pat un tapis moëlleux sur lequel ce dernier peut poser ses mélodies. Bob Moses use essentiellement de cymbales ainsi que d’un son de caisse très mat pour driver avec discrétion et élégance ses jeunes compères.

"Sirabhorn" et "Midwestern Nights Dream" sont des titres splendides, teintés de mélancolie et de paix : la basse de Jaco est à l’honneur sur le second titre qu’il clôt avec une belle et profonde mélodie jouée en lead. Pat interprète "Unity Village" en solo, avec un thème joué sur une nappe d’accords d’inspiration brésilienne absolument magnifiques, alternativement frottés ou joués en arpèges. Ce morceau reste pour moi un des plus beaux qu’il ait composés. Sur "Missouri Uncompromised" et "Uniquity Road", le rythme s’accélère, les thèmes d’esprit très Jazz sont parfois joués à l’unisson par Jaco et Pat, alors que les improvisations restent remarquablement maîtrisées et construites.

"Omaha Célébration" démarre de façon plus enjouée avec un thème relativement long et complexe joué parfois en accords par Pat, avant de basculer sur un groove chaloupé impulsé par Jaco, très proche de ce qu’il fera souvent par la suite dans WEATHER REPORT. Le dernier morceau, "Round Trip/Broadway Blues" est un assemblage de deux compositions d’Ornette COLEMAN, une des grandes influences de Pat METHENY. Les musiciens se lâchent, parfaitement à l’aise dans cet univers harmoniquement complexe et débridé. On relève notamment une improvisation "Out" de Pat, et un passage basse/batterie pour conclure en beauté un disque magnifique.

Ce premier essai est une franche réussite, un moment de grâce entre 3 musiciens d’exception promis pour deux d’entre eux au plus grand avenir à très court terme. La virtuosité indéniable des protagonistes ne prend jamais le dessus sur la narration musicale et l’harmonie du trio. Ce disque ne fait pas que lancer l’exceptionnelle carrière de Pat METHENY, il contribue également à ouvrir pour le Jazz nombre de voies nouvelles, alternatives aux formats traditionnels alors en voie d’essoufflement. Pat sera d’ailleurs un des premiers à explorer ces nouveaux territoires notamment avec le PAT METHENY GROUP qui intégrera avec brio de multiples influences de toutes origines et saura toucher un public de plus en plus large et conquis.

Bright Size Life est bien plus qu’un bon début, c’est un des dix disques que j’emporterais sur mon île déserte !

Note : 5