Yair Elazar Glotman est un musicien et un compositeur basé à Berlin qui a suivi une formation classique. Son instrument de prédilection est la contrebasse (‘double bass’ en Anglais), en général le plus grave des instruments à cordes d’un orchestre. L’instrument autorise bien entendu un jeu à cordes frottées (avec archet, généralement en orchestre) ou pincées (comme souvent dans le Jazz). Ce qui fait la particularité du travail de Glotman, c’est son grand intérêt pour l’électroacoustique et les sculptures sonores.

Avec Études, son deuxième album sous son nom, paru sur le label anglo-allemand Subtext, qui décidément propose bon nombre d’artistes intéressants, on va assister à une démonstration de ce qu’on peut tirer de cet instrument, instrument qu’il va pousser dans ses derniers retranchements, tant en jeu frotté que pincé. On va donc découvrir l’étendue de la palette sonore de cet instrument, la profondeur des résonances qu’on peut en tirer, la puissance de ses vibrations ; le jeu démonstratif est complètement atypique, sans - ou avec peu - overdub semble-t-il, et l’exploration va parcourir des territoires où les musiciens n’osent généralement pas s’aventurer.

Mais un travail expérimental ne fait pas en soi une œuvre intéressante. C’est là où finalement ce que propose Glotman est enchanteur. Sur les dix pièces présentées ici Glotman est capable, seul avec son instrument, de produire un travail fascinant tant du point de vue du son que des atmosphères.

Le titre d’ouverture "On Forgetting" s’annonce à la manière d’une composition électronique dark ambient faite de drones, à la Deathprod ou Murakami (Ryo) ; difficile d’imaginer ici, tout au moins au départ, qu’il s’agit d’un instrument bien organique. Ceci étant, l’un n’exclut pas l’autre, par exemple Roly Porter a mélangé les deux (électronique / contrebasse) dans son album Third Law. Une autre couche de drone se joint ensuite à la première, plus proche d’un ronflement ; les boucles qui se forment pourraient faire penser à une étrange machinerie industrielle. "Oratio Continua (part 1 & 2)" métamorphosent la contrebasse en un balancier qui fait des allers / retours et où les cordes semblent vibrer du maximum qu’elles peuvent comme si l’on décochait des flèches d’un arc rudimentaire. Beau travail.

Le drony "Retenant" confirme le parti-pris d’atmosphères dark, les sourdes vibrations de la contrebasse jouent quasiment le rôle des timbales, devenant alors une percussion dans les tonalités les plus graves. "Drifts" est la composition la plus émouvante de l’opus, les cordes frottées sont crépusculaires et vous filent le bourdon alors qu’elles survolent toujours cette mer de drones ; c’est un travail de toute beauté, de l’ambient d’orfèvrerie, en noir et blanc. "Nadir" est un long ostinato boisé et profond, joué aux cordes pincées, et reposant sur des textures impures, comme des scories qui grommèlent de jouer un rôle secondaire.

Sur "Agnosia" la contrebasse se transforme en alarmes qui se répondent dans la nuit ; mais c’est la nuit dans un monde post-apocalyptique, dans un monde vide où il n’y a plus personne pour les désactiver. Les cordes frottées de "Ulterior" s’avèrent menaçantes et les bruits qui s’extraient de l’instrument pourraient faire penser encore une fois à du dark ambient ou à de la musique expérimentale aux lisières industrielles ; les fins de ce titre et de "Rattel" semblent avoir été prolongées artificiellement par des effets de réverb ajoutés au mixage. Le travail sur "Rattel" est d’ailleurs intriguant tellement la contrebasse vibre tout en étant capable d’offrir une belle couche de drones. Le dernier "Lamant (coda)" est à la fois joué en cordes frottées et pincées et Glotman en sort des sons cristallins, douloureux comme si la bête jouait à vif.

Nul doute qu’il faille une sacrée virtuosité pour extraire de l’instrument une telle palette sonore, de telles textures de sons qui viennent de loin, qu’il faut aller chercher parce qu’elles demeurent bien cachées. Pour les obtenir il faut dompter la bête, la connaître sur le bout des doigts, un tel degré de coopération ne peut s’obtenir que si l’on possède la maîtrise mais aussi un esprit aventurier. Études est certes un travail de nature expérimentale mais il est également passionnant à écouter, sinon il ne serait en rien recommandable. C’est une belle découverte et l’on pourra prolonger le plaisir avec Compound, toujours sur le label Subtext, avec cette fois-ci Glotman en trio.

Note : 4.5/5.